Les cartes ambiguës sont celles où plusieurs personnages se trouvent dans des positions différentes. Elles ne disent pas quel personnage est le consultant : le Pape peut le montrer en position d’enseignant, mais il peut tout aussi bien se reconnaître dans les deux moines, s’il est à un moment de sa vie où il se trouve en train de recevoir un enseignement. Comment trancher pour s’assurer un tirage cohérent, et qui parle à notre consultant ?

Pour savoir sur quel pied danser, il est bien évidemment crucial d’écouter la personne, parce qu’elle sait déjà très clairement si elle est en train de suivre une formation ou de la donner, par exemple. Inutile de vous torturer à chercher la réponse dans la carte : elle n’y est pas. Vous perdrez votre temps, et surtout, vous risquez de surinterpréter la carte, c’est-à-dire de la déformer jusqu’à imposer votre propre opinion au tirage.

Si votre consultant se tait, ou si vous ne l’avez pas en face de vous (dans le cas d’une lecture à distance), vous allez devoir choisir vous-même. La solution : tout simplement sélectionner la facette qui fait sens dans le reste du tirage, pour obtenir une lecture “qui se tienne”, c’est-à-dire qui fasse sens pour l’autre.

Exemple de tirage : 1. La personne : le Pape. 2. Sa force : la Papesse. 3. Sa faiblesse : le 5 d’Épées. 4. Ce que je peux attendre d’elle : la Reine de Coupes.

Dans ce tirage, le Pape est une carte ambiguë : la personne peut être représentée par la figure du Pape en train d’enseigner, mais tout aussi bien par l’un des petits moines en train d’écouter. Elle peut être quelqu’un qui enseigne, dit des choses vraies, se fait bien entendre, ou bien être quelqu’un qui écoute avec une attention sincère. Nous ne savons pas encore à ce moment du tirage, puisqu’on ne dispose pas du reste du portrait de la personne. Décider tout de suite serait contreproductif, d’ailleurs, car si on se trompe, on risque de tomber sur une contradiction au fil de la lecture et devoir refaire l’interprétation.

C’est le reste du tirage qui nous dira laquelle des deux possibilités est la bonne. En effet, une des seules choses desquelles nous pouvons être sûrs, c’est que la personne est cohérente (même quand on agit de façon en apparence déraisonnable, c’est pour une raison) ; on postule donc que son portrait le sera tout autant. A nous de choisir les interprétations qui nous paraissent les plus cohérentes ; encore une fois, la carte seule ne le fait pas.

“Sa force” est la Papesse, soit “garder le mystère”. Cela semble déjà aller dans le sens de la seconde interprétation, où elle serait représentée par les petits moines qui écoutent. En effet, il est difficile d’imaginer une personne qui se caractérise par le fait de parler, et dont la force soit sa capacité à se taire. Par contre, il paraît plus simple d’imaginer quelqu’un qui écoute, puis garde pour lui ce qu’il a entendu.

La suite semble amener à confirmer ce choix. Si “sa faiblesse”, c’est le 5 d’Épées (conflit, critique), soit elle prend mal toute critique, soit elle critique tout le temps, soit elle a du mal à dire ce qui ne va pas. Là encore, quelle possibilité retenir ? Si le Pape la montre en position d’écoute, alors il est difficile de comprendre pourquoi elle refuserait d’écouter les critiques. Si la Papesse la montre discrète, il est difficile de l’imaginer partir au conflit. Par contre, sa discrétion peut avoir un revers : elle aurait comme faiblesse d’avoir du mal à revenir vers l’autre pour lui dire ce qui ne va pas.

La Reine de Coupes en fin de tirage nous permet enfin de valider l’ensemble de nos choix d’interprétation : ce que cette personne peut nous offrir, c’est sa sensibilité, sa compréhension et son empathie. Il n’est donc plus possible de lire le Pape comme un donneur de leçons, et le 5 d’Épées comme un excès de critique, car ces deux interprétations impliquent une absence de sensibilité. Par conséquent, on comprend mieux que sa nature soit celle de quelqu’un qui écoute sans contester (comme les moines boivent les paroles du Pape), que sa force soit de garder pour elle ce qu’on lui a confié (au lieu d’en faire des potins), que dire ce qui ne va pas lui pose problème (elle préfère accueillir la confession et n’en rien dire plutôt que d’imposer son avis et créer du conflit, ce qui est cohérent avec son aversion pour les potins, parce qu’elle n’aime pas critiquer les autres). L’interprétation finale est cohérente : d’après ce tirage, cette personne serait l’ami à qui on confie un secret pour s’en décharger, car on le sait capable d’écouter avec compréhension, sans jugement, et sans critiquer. On se tournera donc vers cette personne quand on a besoin d’un soutien plutôt que d’une leçon de morale.

Le piège du tirage apparaît maintenant au grand jour : lire immédiatement le Pape comme un “donneur de leçons” aurait contredit les autres cartes, et nous aurait empêché de comprendre que parfois, on peut avoir besoin de quelqu’un qui nous écoute sans critiquer.

Dans les tarots de type Rider-Waite, les cartes les plus ambiguës sont : le Pape (enseigner ou écouter), le Diable (lier ou être lié), le 6 de Deniers ou de Coupes (donner / recevoir), le 5 d’Épées (critiquer ou être critiqué), la Roue de Fortune (se laisser entraîner ou pas). Voir cet article pour un autre exemple d’interprétation, cette fois avec uniquement des cartes ambiguës.