Certaines cartes montrent plusieurs personnages : difficile alors de savoir lequel représente le consultant. Voici un exercice de tirage fait avec ces cartes ambiguës, pour montrer comment on peut choisir de façon justifiée entre les différentes possibilités et obtenir une interprétation cohérente.

J’ai sélectionné les cartes suivantes pour leur ambiguïté :

  • 6 de Coupes : on ne sait pas si le consultant sera représenté par le petit garçon qui donne, ou la petite fille qui reçoit.
  • 6 de Deniers : on ne sait pas si le consultant sera représenté par le bourgeois qui donne de l’argent, le mendiant qui reçoit, ou le mendiant qui ne reçoit pas.
  • Le Pape : on ne sait pas si le consultant sera représenté par la figure qui enseigne, ou par les moines qui reçoivent l’enseignement.
  • La Roue de Fortune : on ne sait pas si le consultant sera représenté par l’animal qui monte, l’animal qui descend, ou l’animal qui reste stable au sommet.
  • Le Diable : on ne sait pas si le consultant sera montré en position de domination, ou en situation d’être dominé.

Les positions du tirage seront les suivantes : 1. La personne. 2. Ses forces. 3. Ses faiblesses. 4. Ce qu’on lui conseille. 5. Ce qu’elle pourra en obtenir.

Les cartes sont sorties ainsi : 1. Le Pape. 2. 6 de Coupes. 3. 6 de Deniers. 4. Le Diable. 5. La Roue de Fortune.

Voici le raisonnement sur lequel j’appuie mon interprétation.

1. La personne : le Pape. La personne est soit quelqu’un qui donne un enseignement, soit quelqu’un qui reçoit un enseignement. Si elle était présente, elle m’indiquerait immédiatement laquelle des deux possibilités lui parle, mais en son absence, je ne suis pas encore en mesure de trancher.

2. Sa force : 6 de Coupes. Soit la personne sait donner avec gentillesse et générosité, soit elle sait recevoir avec grâce. (Là encore, dans un tirage en dialogue avec le consultant, l’ambiguïté se lève immédiatement, mais là nous le considérons absent pour l’exercice).

3. Sa faiblesse : 6 de Deniers. Soit la personne a du mal à se montrer généreuse, soit elle a du mal à recevoir ce qu’on lui donne.

C’est ici que tout se décide : il n’est pas possible que la personne soit à la fois généreuse et pas généreuse, il n’est pas possible non plus qu’elle ait comme qualité de bien recevoir et comme défaut de mal recevoir, il faut donc faire une sélection. Posons une hypothèse, parce qu’il faut bien commencer quelque part : que le Pape représente le consultant comme celui qui dispense son enseignement, plutôt que comme celui qui reçoit.

Si le Pape partage son savoir, on peut comprendre que ce soit avec générosité, puisqu’il ne le garde pas pour lui. La force du consultant va alors de soi (6 de Coupes) : il est capable de donner avec générosité. Pour interpréter sa faiblesse, nous pouvons donc immédiatement éliminer la possibilité “il a du mal à donner avec générosité”, puisque c’est justement ce qu’il fait de mieux.

Que reste-t-il sur le 6 de Deniers ? Le fait de donner avec justesse (le 6 de Deniers montre une balance absente sur le 6 de Coupes). Le fait de recevoir (1er mendiant). Le fait de ne pas recevoir ce qu’on attendait (Second mendiant). Il y a de bonnes chances que sa faiblesse soit de ne pas utiliser la balance qui doit lui permettre de donner de façon juste, c’est-à-dire sans s’épuiser : la personne aurait du mal à maintenir l’équilibre entre ce qu’elle donne et ce qu’elle reçoit, quitte à se retrouver parfois sans rien. Les trois premières cartes sont désormais cohérentes : 1/ la personne dispose d’un savoir qu’elle dispense avec une grande générosité 2/ sa générosité est sincère et authentique, car elle donne sans compter ni attendre de retour 3/ le revers de la médaille est que la personne a du mal à donner de façon mesurée, au risque de se retrouver lésée parce qu’elle a tout donné sans rien obtenir en retour.

4. Conseil : le Diable. En règle générale, on ne sait pas si le consultant est représenté par le personnage qui domine, ou par les personnages qui sont dominés. Mais ici on a demandé un conseil, et on part du principe que le conseil du Tarot est forcément constructif ; il n’est donc pas possible de dire “soumets-toi et laisse-toi exploiter” à notre personne généreuse et lésée, car cela ne ferait qu’empirer sa situation.

Nous voilà donc obligés d’assumer une carte qui dit au consultant de se retrouver en position dominante ! (J’évite de dire “il t’est conseillé de retirer les chaînes d’obligation dont tu t’es cru affublé”, car la carte ne montre personne en train de retirer des chaînes ; au contraire, elle montre des personnages en train de porter des chaînes, et je pense difficile de soutenir que le conseil puisse être le contraire de ce que l’on voit). Jouons donc le jeu jusqu’au bout. En quoi être dominant, en quoi obliger, en quoi faire porter des chaînes aux autres, pourrait être utile à une personne qui se montre tellement généreuse qu’elle en vient à se faire avoir ? En amenant les autres à se lier et à perdre leur liberté (de profiter d’elle), avec des chaînes qu’ils se seraient eux-mêmes imposées, suite à l’insistance d’un horrible Diable dont on imagine qu’il aime le pouvoir et l’argent… Et qu’est-ce qui protège celui qui donne, et lie celui qui reçoit, dans une relation où celui qui reçoit consent à perdre de la liberté (de profiter sans limites), et où il peut être question de pouvoir ou d’argent ? Facile : un contrat, ou un abonnement, qui cadreraient les formations dispensées par notre consultant et l’aideraient à gagner sa vie. Même si sa candeur (6 de Coupes) et son incapacité à bien recevoir (6 de Deniers) l’amènent à croire que c’est bien vilain, bien diabolique, de vouloir gagner de l’argent… peut-être, mais s’il n’a pas de quoi payer son loyer, le Pape ne pourra plus offrir son savoir très longtemps !

5. Ce que la personne pourra obtenir grâce à cela : la Roue de Fortune. Si la carte était isolée, on ne saurait pas si le consultant subit les revers de fortune (l’animal qui descend), profite de ce que la fortune lui sourit momentanément (l’animal qui monte) ou se montre stable et maîtresse de son destin (l’animal dominant). Seulement, ici, en tant que bénéfice, elle est forcément positive. Le Diable lui a conseillé de rechercher les liens d’argent, qui l’aideront à gagner sa vie au lieu de se faire exploiter ; il est donc tout naturel d’en déduire que la personne se retrouvera en position de mieux maîtriser son budget, au lieu de compter sur les aléas de la fortune pour survivre.

Toute notre conclusion repose sur le choix du début : que le Pape représente le consultant en train d’enseigner, et non de recevoir l’enseignement. Aurait-on pu prendre l’hypothèse contraire ? En fait, oui ! 1. La personne (le Pape) est tout le temps en train de profiter de l’enseignement d’autrui, elle est un étudiant qui reçoit, sans jamais participer à la création du savoir (elle est les petits moines). 2. Sa force (6 de Coupes) est de recevoir les dons avec grâce, sans se montrer critique ou d’une exigence déplacée (elle est la petite fille). 3. Sa faiblesse (6 de Deniers) se trouve au niveau de la générosité : elle a du mal à donner aux autres, puisqu’elle reçoit constamment (elle est les mendiants car elle n’arrive pas à être celui qui donne). 4. Le conseil (le Diable) est de se forcer à changer radicalement de position, en s’engageant dans une promesse ou un contrat qui l’obligerait à rendre aux autres ce qu’elle n’arrive pas à donner par pure générosité (elle devrait donc être les personnages liés) (paye ton abonnement au lieu de pirater tes séries !). 5. Ce qu’elle obtiendrait (Roue de Fortune) serait d’arrêter de subir les hauts et les bas, entre les moments où elle profite et ceux où les personnes dont elle a profité se retournent contre elle (la personne reste forcément l’animal dominant, car la carte est positive après un conseil).

Le portrait psychologique est cohérent, le tirage fonctionne, même si l’interprétation est l’inverse de la précédente. Alors, laquelle était la bonne ? C’est la limite du tirage à distance : seule la personne à qui s’adresse le tirage est capable de savoir si elle est quelqu’un qui donne ou quelqu’un qui prend (et cela, elle le sait, faites-lui confiance). Le consultant a toujours le dernier mot pour valider ou non nos hypothèses d’interprétation, car la vérité est toujours dans la personne, jamais dans les cartes. Le travail du tarologue consiste à fournir une interprétation cohérente, sans laquelle le consultant n’aura pas de quoi se projeter pour réfléchir à sa situation autrement ; mais il n’est pas tout seul, et heureusement. La seconde partie du travail est assurée par celui qui dit “cela me parle” ou “cela ne me parle pas”, et elle est cruciale.