La plupart des cartes montrent un personnage, un archétype, une attitude. Elles représentent souvent des facettes du consultant, mais pas forcément : celui-ci n’étant pas tout seul dans sa vie, il subit bien des influences. Une des difficultés de l’interprétation, c’est donc de trouver « qui » est représenté là, et il va falloir saisir les indices au vol dans la conversation.
Cet Empereur représente-t-il le besoin de structure du consultant, ou une figure d’autorité qui l’écrase ? Ce Roi d’Epées invite-t-il le consultant à trancher, ou est-il là pour expliciter ce qui le fait souffrir dans l’attitude d’un partenaire ?
Bien sûr, la plupart du temps, il suffit de demander au consultant s’il reconnaît quelqu’un dans la carte, ce qui aide à préciser l’interprétation même si on peut s’en passer. Mais les choses ne sont pas toujours si simples ; c’est même pour cela que l’on vient demander un tirage de tarot. Si je n’arrive pas à comprendre d’où vient ma douleur, il ne suffira pas qu’on me le demande !
Il y a un indice qui peut mettre la puce à l’oreille. Parfois, nous nous mettons à parler avec une autre voix que la nôtre. Il est assez simple de reconnaître ces moments lorsqu’on écoute le discours avec un peu d’attention : c’est lorsqu’on se met à dire des phrases qui n’ont pas été pensées par nous, mais par quelqu’un d’autre. Exemple :
– Et donc je travaille avec lui dans sa boîte… pour lui donner un coup de main. Et tu sais… ça me prend pas mal de temps.
– Tu es bien payé ?
– En fait, ça sera intéressant pour moi d’être salarié quand la structure sera performante. Là, c’est le temps que ça se développe, au niveau des investissements.
On reconnaît là une personne a) en train de se faire arnaquer (elle travaille gratuitement) et b) en train d’essayer de protéger celui qui l’arnaque, parce que les personnes sincères ont du mal à croire qu’on puisse sciemment les exploiter. Ce qui doit mettre la puce à l’oreille, c’est le basculement brutal d’un niveau de langage à un autre : qui parle du fait que « la structure soit performante » dans une conversation informelle, détendue ou axée sur le subjectif comme dans un tirage de tarot ? De plus, cette phrase est débitée assez rapidement et fermement, comme si on ne voulait pas laisser la place à l’interruption (donc la remise en cause), alors que tout le reste du discours était prononcé de manière attentive à l’autre, détendue, et surtout spontanée.
Empereur et Roi d’Epées ? Avec cet indice dans la conversation, le doute est levé : la personne s’est fait une image trop impressionnante de son « patron » et n’ose pas être claire avec lui, préférant maintenir la situation même si elle y perd.
On a vraiment l’impression que quelqu’un d’autre s’est glissé dans la peau de notre consultant pendant une seconde, pour lui faire dire cette phrase avant de disparaître. Soyez attentif dans vos conversations : c’est l’indice fréquent que pendant un instant, nous nous reposons sur la pensée d’autrui en essayant de l’endosser. Le Tarot va faire tomber le masque, parce qu’il sert à nous apprendre à penser par nous-mêmes.
Vous savez que vous êtes presque tenue, par la loi de la réversibilité, désormais, de donner le pendant de cet article : « Cet Autre qui parle à travers Moi » ?
Je suis très surpris que vous parveniez à déceler « aussi nettement » l’authenticité d’une voix, d’une parole … J’entends toujours une énorme multiplicité, presque chaque mot a une histoire personnelle qui court à côté de son histoire « lexicographique » (exemple : le mot « multiplicité » me renvoie à Deleuze, mais qui parle de Whitehead, est-ce vraiment mon mot ? Ce n’est pas le même que celui du voisin ! Par contre, la mise en abîme directe, c’est plus moi déjà !) Comment ne pas se tromper ? L’exemple que vous donnez est clair et édifiant, mais en pratique, n’y a-t-il pas une volonté de devenir cette autre voix ? Et cette volonté n’est elle pas tout aussi signifiante que la voix authentique ?
Quand est-ce qu’il faut mettre le doigt dessus et quand est-ce qu’il faut encourager cet autre à entrer, quand est-ce qu’il faut essayer de s’en débarasser ? Ce n’est pas facile à voir …