Le tarot est une véritable “machine à raconter des histoires”. Quand on se tire les cartes, on se raconte des histoires, pour voir si on ne trouverait pas une autre façon de penser, ou une solution nouvelle qui nous avait échappé. “Les cartes parlent” et semblent bien raconter des histoires à notre place : c’est donc l’outil rêvé pour l’écriture créative !

Cet article est le complément de la conférence que j’ai donnée pour le séminaire Explore, le tarot créatif ; vous pouvez suivre ce lien pour accéder au replay des 8 conférences pendant 1 an. Voici des tirages qui vous aideront à concevoir votre histoire et vos personnages ; n’hésitez pas à partager ce qui vous a inspiré !

 

Des questions à se poser avant de se lancer dans un chantier d’écriture créative :

  • Pour qui est-ce que j’écris ?
  • Quel va être mon genre (SF, romance, uchronie, autobiographie… ?)
  • Qui va s’exprimer dans mon projet ? (à quel type de personne vais-je donner voix)
  • Quel est mon angle d’attaque ? (vais-je briser des tabous, renverser des valeurs ?)
  • Quel est le message que j’ai envie de partager ?

Toutes ces questions-là peuvent être les emplacements de base d’un tirage “Définir mon projet”. Par exemple, si vous écrivez pour le 9 de Bâtons (le personnage qui s’accroche, amer, devant une haie de bâtons qui le dépasse), peut-être vous adresserez-vous à un public confronté à un défi dans sa vie, que vous pourrez l’aider à le surmonter en l’encourageant ou en lui donnant des pistes. Si votre genre, c’est le Bateleur, il peut s’agir d’être dans l’action : un livre qui va donner au lecteur les outils pratiques et concrets pour résoudre son problème. Qui va s’exprimer : l’Empereur, sans doute n’y aura-t-il pas de point de vue particulièrement personnel, mais s’agira-t-il d’une présentation des règles à suivre pour réussir à surmonter le défi à tous les coups. L’angle peut être le 10 d’Épées : encourager les lecteurs à complètement laisser tomber ce qui n’a pas marché pour eux, pour faire table rase, et appréhender leur défi d’un œil complètement nouveau. Enfin, votre message peut être l’Impératrice : il vaut la peine de surmonter ce défi en suivant les règles indiqué dans votre livre, justement pour pouvoir libérer sa créativité de façon intense et authentique !

Bien sûr, le Tarot ne va pas décider de votre livre à votre place : si vous avez déjà les idées claires, préférez un tirage d’action pour vous aider à mettre le pied à l’étrier, sinon, soyez très attentif à votre ressenti lorsque vous tirez l’une de ces cartes. Est-ce qu’elle vous plaît, ou pas ? Est-ce qu’elle ne vous inspire rien du tout, ou au contraire vous donne envie d’aller plus loin ? Si c’est le cas, notez-la, car c’est qu’elle correspond au livre que vous aviez déjà en vous avant de vous poser la question.

 

Ensuite, si vous partez dans la fiction, une possibilité pour définir vos personnages : faites la liste des questions qui vous paraissent essentielles pour définir une personnalité. Par exemple :

  • Son apparence physique
  • Ses valeurs
  • Sa part d’ombre
  • Sa touche personnelle
  • Sa façon de percevoir les choses

Par exemple, un personnage ressemblant à un Bateleur serait un jeune homme dynamique, souriant, aux mouvements vifs. Si ses valeurs sont le Monde, il pourrait être très attaché à des idées de spiritualité, comme l’éveil de la conscience, ou l’Amour universel. Si sa part d’ombre est le Pape, peut-être a-t-il tendance à mettre sur un piédestal toute personne qui lui parlerait de quelque chose en rapport avec ses valeurs – d’ailleurs, en tant que Bateleur, ses mouvements précis doivent souvent cacher un certain doute, car s’il sait bien agir, il ne sait pas encore lui-même vers quel but. Si on voit sa part d’ombre comme une tendance à se soumettre à une tradition ou à une vérité exprimée par une personne extérieure, il peut avoir tendance à prendre pour parole d’évangile toute doctrine qui pourrait lui faire miroiter ce but dont il manque. Sa touche personnelle peut être le 10 de Coupes, un extraverti qui n’est jamais seul, toujours entouré d’un groupe ou de sa famille. Enfin, sa façon de percevoir les choses peut être un 7 d’Épées : un peu paranoïaque, il craint toujours qu’il n’y ait une entourloupe cachée derrière ce que lui apportent les autres (mais pas sa figure charismatique, puisqu’il lui donne toute confiance). Voilà un personnage qui serait la victime de secte idéale : attaché à un gourou en qui il a une confiance absolue, entouré de ses coreligionnaires, il multiplie les exercices physiques dont on lui a promis qu’ils lui fourniraient une voie garantie vers l’éveil de la conscience ; la tragédie, c’est que sa famille, qui l’aime, se rend compte du lavage de cerveau dont il est victime, mais lui ne voit leurs appels répétés que comme une “preuve” que son gourou avait raison : il y a des personnes “suppressives”, là pour vous empêcher d’accéder à l’éveil, le démon peut se cacher sous les traits des personnes que vous aimez le plus, et toutes leurs ouvertures sont en réalité des complots pour l’arracher à la Vérité ! Un texte écrit du point de vue de ce personnage pourrait être des plus poignants…

 

Pour déterminer le mouvement de votre histoire, vous pouvez vous appuyer sur le voyage du héros de Joseph Campbell. C’est une façon de synthétiser les différentes étapes par lesquelles passe un personnage dans une histoire. Il y a douze étapes, donc c’est l’occasion de faire un tirage à douze cartes (ce qui est fait avec brio par la chaîne Tarothor dans ses interviews d’auteurs) :

  1. Le monde ordinaire : comment était la vie de votre personnage avant les événements qui vous intéressent.
  2. L’appel : qu’est-ce qui le pousse à se lancer dans l’aventure, ses motivations.
  3. Le refus de l’appel : quels sont les doutes qui le font hésiter à se lancer.
  4. La rencontre avec le mentor : qui l’aide ou l’inspire pour avancer.
  5. Le passage du premier seuil : quel est l’événement qui marque pour lui un point de non-retour.
  6. Les épreuves : quelles sont les épreuves qu’il a à traverser pour s’accomplir, a-t-il des soutiens ou des rivaux pour les surmonter.
  7. L’approche du cœur de la caverne : quels sont les préparatifs à mettre en place pour réussir, est-ce qu’ils demandent des sacrifices ou des remises en question.
  8. L’épreuve suprême : c’est le moment de crise, qui pourrait le faire mourir ou tout abandonner ; elle met le personnage face à ses peurs, ses doutes, et lui permet de les surpasser, peut-être avec un contrecoup.
  9. La récompense : ce que lui apporte sa première grande victoire.
  10. Le chemin du retour : les conséquences de cette victoire sur son retour à la vie ordinaire.
  11. La résurrection : quelle épreuve a fait de lui quelqu’un de nouveau, en l’amenant à se surpasser ou à changer ?
  12. Le retour avec l’élixir : qu’est-ce que le personnage a appris de son parcours, et que va-t-il vouloir transmettre.

Une carte par étape, et votre personnage traversera les épreuves et se confrontera aux démons qui lui permettront de se réaliser. Par exemple, si le monde ordinaire est l’Empereur, on peut imaginer un personnage qui travaille dans un cadre très précis, très contrôlé, très rigide ; peut-être qu’il travaille dans une immense administration, un endroit où tous les actes sont régis par des procédures à appliquer à tout prix. Si l’appel, c’est l’Étoile, on peut dire qu’un jour il entend parler d’une communauté où tous sont libres, et vivent leur vie de façon entièrement spontanée, selon leurs envies ; cela peut l’amener à réfléchir sur sa situation par contraste. Si le refus de l’appel, c’est le 2 de Coupes, notre personnage est marié et sa femme va rejeter avec mépris l’idée de vivre de façon “si peu civilisée”. Si le mentor, c’est le 8 de Deniers, peut-être va-t-il rencontrer un artisan qui a vécu dans cette communauté pour apprendre leur art, et qui va lui expliquer que ces personnes produisent des œuvres d’art qui sont faites pour durer, alors que tout ce que connaît notre héros, c’est du consommable qui se détruit tout de suite. Le passage du premier seuil, c’est la mort : se voir entourer de choses périssables le renvoie à l’idée de sa propre mort, et il ne supporte pas l’idée d’être ainsi effacé définitivement comme les choses qu’il participe à créer dans son travail et dont il s’entoure au quotidien. Etc.

 

Lorsque votre personnage va traverser ces étapes une par une, vous allez vous retrouver confronté à la nécessité d’écrire des descriptions. Souvent, on associe l’idée de description avec l’ennui ; mais justement, si vous avez été ennuyé, c’est que les descriptions que vous avez pu lire n’étaient pas assez travaillées pour vous faire vivre ce qui était représenté sur la page. Quand nous vivons une situation, nous la vivons avec nos cinq sens ; les utiliser donnera au lecteur l’illusion d’être vraiment immergé dans l’histoire, alors que si on se contente de la vue, le résultat sonnera creux. Et pour vous aider à vous représenter ce qui arrive aux sens de votre personnage, rien de plus simple que de tirer une carte par sens.

  • La vue
  • L’odorat
  • L’ouïe
  • Le goût
  • Le toucher

Par exemple, un personnage est convoqué dans le bureau de son patron. Il voit un Roi d’Épées, ce patron a l’air vraiment très sévère, l’ambiance commence à se tendre : va-t-il se faire remonter les bretelles ? Il sent le 4 d’épées, une odeur de pierre, de ciment, parce qu’en fait le décor autour du patron est tout aussi sévère que lui, ce sont des murs en béton nus et froids, l’ambiance se plombe. Il entend la Justice, des bruits métalliques, un peu comme si quelqu’un était en train d’aiguiser une lame quelque part, ces bruits viennent sans doute de travaux sur le parking, mais notre personnage se retrouve vraiment effrayé, comme si, inconsciemment, il craignait que son patron n’aille jusqu’à le tuer littéralement ! Sur ses lèvres, qu’il lèche avec nervosité, le 7 de Coupes, le goût du gloss de la collègue qu’il a embrassée il y a peu ; il commence à se dire que c’est pour cela qu’il va se faire virer, que les gens ont parlé dans leur dos au bureau… à sa peur de son patron sévère s’ajoute donc une véritable paranoïa. Au niveau du toucher, il ressent le 2 de Bâtons, il est en alerte pour voir venir, donc il sent ses muscles se tendre, son cœur accélérer. Rien ne s’est encore passé dans le bureau du patron que l’ambiance est là, lourde, tendue (et peut-être notre personnage tombera-t-il de très haut, jusqu’à en perdre ses moyens, quand il recevra une promotion !).

 

Enfin, le Tarot vous accompagnera aussi personnellement dans votre projet créatif. Si vous vous sentez un coup de mou, vous pouvez bien sûr vous faire un tirage personnel pour vous demander d’où vient le blocage et comment y remédier. Vous pouvez aussi suivre les conseils des écrivains professionnels pour vous aider à tenir la durée. L’écriture est une discipline, et le pire ennemi, la page blanche. Pour vous mettre le pied à l’étrier, rien de mieux que juste commencer à écrire, spontanément, sans vous censurer, et surtout, surtout, sans chercher à vous corriger (cela ne viendra que beaucoup, beaucoup plus tard). Pour cela, une des meilleures façons de faire est de s’asseoir à son bureau et poser un petit tirage de tarot, que ce soit un tirage de personnage, de situation, ou juste quelques cartes, les unes après les autres, que vous ferez parler sans emplacement ni question. Écrivez ce qu’elles ont à dire, ajoutez des cartes au fur et à mesure comme cela vous vient, et vous serez dans le bain. Bonnes créations !

 

Exemple de livre piloté par oracle (le Yi King) : Le Maître du Haut Château par Philip K. Dick