Le Rider-Waite est plein de raccourcis pratiques, qui permettent de comprendre une carte d’un coup d’oeil suivant son élément et sa signification numérique. Normalement, il suffit de les croiser : 5 de Deniers = Conflit + élément matériel = Difficulté matérielle… et l’on voit des mendiants perdus dans la neige, OK. On peut donc faire confiance à ce jeu pour nous éviter de mémoriser bien des significations abstraites.

Mais le 8 de Bâtons, avec ses lignes parallèles, est un exemple de carte beaucoup moins parlante à première vue… Peut-on comprendre cette illustration pour continuer à l’utiliser facilement ? Explicitons son fonctionnement dans le système du Tarot avant de l’appliquer.

 

Qu’est-ce qui nous étonne dans cette carte ?

  • Les bâtons sont rangés en groupes parallèles, même si leurs longueurs restent différentes ;
  • Ils se dirigent tous vers le bas, alors qu’on attendrait d’un bâton qu’il pousse vers le haut ;
  • Aucun personnage n’est représenté, ce qui donne l’impression qu’elle est abstraite.

Essayons de comprendre à partir des éléments symboliques dont nous disposons (« 8 » et « Bâton »), la combinaison que le dessin va essayer de représenter.

 

Huit de Bâtons

1. Jodorowsky nous donne la signification symbolique du chiffre 8 dans La voie du tarot : c’est une perfection, qui s’appuie sur la stabilité de deux chiffres 4, l’un représentant l’ « en bas » et l’autre l’ « en haut ». C’est-à-dire qu’on peut s’appuyer sur un socle solide, pour créer en plus une oeuvre aussi solide au-dessus de lui, donc tout fonctionne parfaitement. (Le 4, bien carré, est toujours un symbole de stabilité comme les 4 pieds d’une chaise qui tient bien).

Cette perfection s’exprimera différemment selon les éléments à qui elle s’applique : il s’agit de voir comment il se comporte lorsqu’on le laisse faire. Par exemple, le 8 appliqué à l’Epée (Intellect) devient compliqué : le mental s’exprimant sans entrave, donc sans l’entrave de la réalité, a construit des préjugés qui tiennent tout seuls, et nous empêchent d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe vraiment.

 

2. L’élément : nous savons déjà que le Bâton est un symbole de désir, d’énergie créatrice et sexuelle. Notre carte doit donc nous apprendre quelque chose sur la nature du désir.

désir

On voit bien qu’un désir n’est pas fait pour rester statique, content de lui-même : il veut s’exprimer et obtenir un résultat. (J’ai du désir pour ce gâteau en vitrine = il s’agit pour moi de l’avoir concrètement dans la bouche). En d’autres termes, le désir cherche en premier lieu à transformer le monde autour de lui. (Je suis dans un monde où le gâteau est séparé de moi par une vitrine, et je veux être dans un monde où nous sommes réunis : je modifie donc le premier monde en donnant de l’argent à la boulangère).

Le désir tend donc à informer le monde, c’est-à-dire qu’il porte en lui la graine du changement (on l’a vu illustré ici où il est le prélude nécessaire à toute action). Si on le laisse s’exprimer sans entrave, comme l’implique le chiffre 8, il va donc tout naturellement se tourner vers le monde (du bas) pour lui communiquer des formes qui viennent d’en haut (notre désir étant de nature spirituelle, ou en tout cas non matérielle).

Rider waite 8 de bâtons

Et comme le Désir a une nature de Feu, lui ôter ses entraves permet non seulement une communication avec le monde, mais une communication rapide. Le désir veut immédiatement ! tout de suite ! Ce gâteau, je ne le veux pas demain ! Comme un cheval qui part au galop lorsqu’on lui lâche les rênes.

C’est cela qui est représenté sur la carte, avec

  • un parallélisme qui marque l’absence d’entrave : rien d’extérieur ne vient empêcher le mouvement des bâtons, et ils ne se gênent pas les uns les autres ;
  • la direction du haut vers le bas de tous les bâtons, avec un angle qui suppose qu’ils aient été lancés avec force (s’ils tombaient tout droit, ils représenteraient au contraire une inertie).

Les bâtons ont beau être différents, ils vont tous dans le même sens : ce que l’on apprend vaut quel que soit le désir, qu’on recherche l’amour, la création, le pouvoir…

rider waite 7 de bâtons

Reste le fait qu’il n’y ait pas de personnage, contrairement aux deux cartes qui entourent le 8.

Lorsque Picasso dessine quelque chose, il ne cherche pas à faire « du Picasso » : s’il le faisait, ce serait une imitation, donc même de sa main cela ne serait pas authentique. Au contraire, il cherche juste à dessiner la chose qui l’intéresse à ce moment ; c’est donc qu’il oublie son identité de « Picasso ». Son désir est de consacrer son énergie à dessiner, pas d’en garder une partie pour asseoir son identité, car ce serait une entrave. Et qu’est-ce que l’on constate en regardant ce désir s’exprimer sans entrave ? Que son geste de création est rapide.

rider waite 9 de bâtons

S’il n’y a pas de figure sur notre 8, c’est que le désir a donc éclipsé l’identité. Dans le 8 de bâtons, c’est le désir qui nous porte, à la limite malgré nous, en nous oubliant ; alors qu’avant (7), c’est nous qui portions le désir en nous y identifiant, ce qui nous servait à nous affirmer à travers lui. Et le personnage du 9 a compris cela (après son coup sur la tête), dépassé qu’il est par tous ces bâtons plus grands que lui…

 

=> Que nous apprend le 8 de bâtons ? Que le désir a par nature tendance à aller informer le monde… en nous oubliant. Il risque de partir tout seul, en tout cas trop vite pour nous.

Et donc, comment utiliser cette idée, pratiquement ? 

Pour interpréter cette carte dans un tirage, il faudra chercher les possibilités concrètes qui correspondent à l’idée d’une communication, action sur le monde ou création sans entraves, pleine de feu, rapide – peut-être rapide au point qu’on n’en voie même plus les étapes, en même temps qu’on s’y oublie.

Elle peut représenter l’impatience de l’amour : on a envie de voler vers son objet, en oubliant les contingences qui pourraient nous ralentir (comme la distance)… C’est pourquoi cette carte est souvent associée à l’idée de coup de foudre.

La communication peut être littérale : la rapidité peut être traduite par un courrier exprès… ou, maintenant, par un email ou SMS : avec la technologie, il me suffit de vouloir que l’autre sache ce que je pense, pour qu’il puisse immédiatement lire mon idée quelle que soit la distance qui nous sépare ! Plus besoin de passer par des étapes intermédiaires comme acheter un timbre…

Les multiples bâtons portent aussi l’idée d’un fourmillement d’activité. De l’enthousiasme, de grandes idées qui nous emportent, un débordement d’activité – comme une entreprise qui travaille « en mode startup », c’est-à-dire où tout tourne autour d’un projet qu’il faut faire vivre rapidement, quitte à mettre la pression. Il y a de l’adrénaline ! On a l’idée de communication rapide, l’image d’un bureau où tout le monde passe des coups de fil et fait du business sans s’arrêter, d’une effervescence.

Le 8 de bâtons indique de la frénésie ; cette énergie désirante a bien un effet sur le monde, donc il y a bien quelque chose qui se construit. Attention cependant à ne pas s’oublier au point d’en souffrir (bloggueur qui dort quasiment avec son ordinateur), ou à ne pas tout simplement tomber d’épuisement…