Voilà une carte bien mal-aimée, mais qui a pourtant beaucoup à nous apprendre. Aussi, elle a autant de chances qu’une autre de tomber à un emplacement positif (pensez à « Ma force » / « Ce qui va dans mon sens » / « Conseil »)… ce qui peut faire paniquer ! Pistes de réflexion pour s’en sortir.

Le Rider-Waite et ses infinies variations nous montrent une image frappante : une femme ligotée, les yeux bandés, coincée entre deux fois quatre épées fermement plantées dans le sol. Cela ne lui laisse pas beaucoup de marge de manœuvre… d’autant plus que ses yeux bandés l’empêchent de voir que l’obstacle est facile à contourner. La voilà bien plus coincée que par une simple barrière externe.

De gauche à droite et de haut en bas : Tarot Interdit, Marseille-Waite, Aquarian Tarot, Rider-Waite, Everyday Tarot, Minchiate florentin, Marseille de Grimaud.

Croyances limitantes

La plupart des tarots modernes se base sur un dessin de Pamela Colman Smith qui exprime cet enfermement illusoire de façon très parlante. Nous sommes dans une carte d’Épées, c’est-à-dire qui parle de mental ; notre personnage est donc entravé par des idées, des croyances qui l’empêchent de voir les possibilités.

Les liens qui entravent la femme sont lâches, pour signifier leur fragilité. Il lui suffirait de les frotter au tranchant des épées pour les voir tomber, ou même de se secouer un peu. Cela rappelle cette parabole qui revient si souvent pour parler d’un esclavage intégré : le bébé éléphant qui vient de naître et est encore loin d’avoir la force d’un adulte. Le dresseur commence par l’attacher avec une chaîne très solide. Le petit éléphant essaie de se libérer, il y met toutes ses forces de nouveau-né, mais rien n’y fait. Solidement retenu par un pied, il comprend qu’il ne sert à rien de s’épuiser.

Au fur et à mesure que l’éléphant grandit, il devient plus fort, sa peau plus épaisse, ses muscles plus puissants. Néanmoins, il a intégré l’idée que se débattre ne servait à rien. Arrivé à l’âge adulte et au sommet de sa force, il suffit donc de lui nouer une vieille ficelle à la patte pour le voir docilement rester en place. S’il tirait dessus, elle se romprait immédiatement. Mais cela ne peut lui venir à l’idée puisqu’il a appris, petit, que chercher à se libérer ne servait à rien. Le majestueux éléphant reste donc prisonnier, mais pas de la corde.

(C’est la structure de son esprit, décidée par le dresseur, qui conditionne ce qu’il tient pour pensable et pour impensable. Pour renouer avec la vie dans la jungle, il lui faudra un bout de thérapie).

 

Pour faire le lien avec notre vie, rien de plus simple. Prenez un bout de papier, et écrivez votre rêve, ce qui serait génial et que vous adoreriez réaliser si seulement vous viviez dans un monde sans aucune entrave, ni règle, ni loi de logique ou de réel, ni attente pesant sur vous, ni rien du tout. Laissez-vous aller à la folie d’écrire ce rêve, quel que soit son degré de loufoquerie ! …Maintenant, dites-vous que vous allez faire ce qu’il faut pour le réaliser. Vous sentirez immédiatement monter un barrage de pensées bloquantes : impossible ! idiot ! pathétique ! ça ne se fait pas ! ce n’est pas pour toi ! tu n’es pas assez ceci, tu es trop cela ! etc, etc, etc.

Sentez-vous la parenté avec notre éléphant ? Souvenez-vous qu’il a intégré l’interdiction lorsqu’il était bébé, c’est-à-dire lorsque son esprit s’est construit. Observez à nouveau les pensées bloquantes qui vous ont assailli. Ce sont des paroles que vous avez entendues et que votre esprit répète. Qui aurait pu les prononcer ? L’habitude de la corde rend difficile de ne pas se confondre avec ces voix du passé. Mais ce n’est pas impossible lorsqu’on les a identifiées.

Ainsi, notre 8 d’Épées représente les croyances qui nous entravent et que l’on prend à tort pour la réalité. Seules, l’habitude, la crainte et l’ignorance nous empêchent de nous dresser contre elles. L’habitude se retrouve dans le dessin avec les liens lâches, la crainte, avec la terre marécageuse qui ne donne pas envie de faire ce premier pas, et l’ignorance, avec le bandeau qui couvre les yeux de la femme.

 

Oui, mais en positif ?

N’empêche que cette carte est aussi désagréable que ses autres copines Épées. Si on la tire à l’emplacement « Mon problème », on peut déjà se dire qu’il vaut mieux se croire entravé que l’être vraiment, et qu’on peut se dégager (si vous vous tirez les cartes pour remettre en question vos croyances et vos préjugés, le travail est déjà bien commencé). Par contre, elle risque de nous embêter ailleurs, la situation insupportable dessinée ne laissant pas assez de place à l’ambiguïté. Que faire si elle tombe en force ou en conseil ?

Pour inspirer notre réflexion, l’histoire d’Ulysse et des sirènes illustre bien l’utilité des entraves. Les marins ont les oreilles bouchées à la cire pour ne pas entendre le chant enjôleur (en voilà qui avaient inventé le piratage à la dopamine avant l’heure), et Ulysse se fait ligoter au mât pour s’éviter un geste malheureux qui le mettrait en danger. Il est donc parfois utile de s’empêcher, de refuser de savoir, de promettre de rester lié à des principes pour éviter se laisser séduire par autre chose.

Un 8 d’Épees bien placé peut nous conseiller de privilégier nos principes en ignorant les sirènes de l’extérieur. Il peut parler de la nécessité de ne pas chercher à en savoir plus pour ne pas être déçu. Il peut aussi nous conseiller de dire que nous sommes malheureusement dans l’incapacité d’accéder à la demande pour des raisons indépendantes de notre volonté. Selon la situation où vous vous trouvez, cela peut s’avérer bien utile…

Exemples

Marjorie hésite à prendre un poste de salariée à mi-temps, sachant qu’elle peut aussi travailler en indépendant. La carte qui la représente est l’Impératrice, dans laquelle elle reconnaît parfaitement son tempérament d’artiste. « Ce que t’apporterait un poste salarié » : le 8 d’Épées ; « Conseil » : l’As d’Épées.

Marjorie pointe immédiatement le contraste entre le 8 et l’Impératrice, dont le côté fantasque la rend plutôt dispersée. À la réflexion, Marjorie trouve que ce 8 d’Épées correspond logiquement à ce qui manque aujourd’hui à l’Impératrice. Un poste salarié lui imposerait des principes limitants (« impossible » de laisser libre cours à sa créativité en dehors d’horaires définis !), donc la canaliserait. lui permettrait de créer sans risquer la dispersion comme à chaque fois qu’elle a toute sa journée. L’As lui paraît alors évident : le conseil est de suivre la voie de la raison, donc de scinder son temps plutôt que le perdre. Le 8 d’Épées lui est apparu entièrement positif, parce qu’il lui donnait conscience du problème en même temps que la solution.

Lise fait le point avec un tirage simple. Pour « Son présent » elle tire le 8 d’Épées : cela lui parle, car elle se sait aux prises avec une mauvaise estime d’elle-même. « Son passé » est le Roi d’Épées, dont la sévérité lui rappelle son père, qui l’a toujours critiquée. « Ce qui l’attend » est le 6 de bâtons, qu’elle lit « recevoir la reconnaissance des autres ». Ce tirage la rassure : les autres sauront reconnaître ses qualités, puisqu’ils n’ont pas hérité du même regard négatif ; elle décide donc de leur faire davantage confiance lorsqu’ils soulignent des éléments positifs chez elle.

Merci Silvia pour l’inspiration. Pour d’autres cartes paradoxales (une carte négative tombée à un emplacement positif et vice versa), c’est par ici. Avez-vous d’autres exemples de tirages avec un 8 d’Épées ?