Le Rider-Waite a pour intérêt de représenter les significations des arcanes mineures par des images, ce qui rend leur lecture plus facile. Comme il nous enseigne à être nous-mêmes, le Tarot parle de nous, et les mineures en particulier de notre expérience dans le monde ; pour cela, la plupart des cartes du Rider-Waite représentent un ou plusieurs personnages. Cela nous permet de nous y identifier et de réfléchir sur le rôle que nous jouons.
Or, parmi les cinquante-six mineures à notre disposition, six ne représentent personne. Cela les rend assez mystérieuses. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ?
Ces six cartes sont les quatre As, le Trois d’Epées, et le Huit de Bâtons. Les quatre As, d’abord, n’ont pas besoin de personnage parce qu’ils représentent des concepts. L’As de Bâtons, c’est la notion de Désir qui apparaît ; l’As de Coupes, c’est la notion d’Affect qui apparaît, etc. Ils ne parlent pas du fait de découvrir cette notion (cela, c’est le Valet qui s’en charge, en nous représentant nous « en train de la découvrir ») ; ils ne représentent que l’idée, nue. Dans un tirage, ils vont par exemple servir à ouvrir un domaine : si l’As d’Epées apparaît, alors on peut dire au consultant qu’il peut « y aller » dans le domaine intellectuel, car la possibilité lui est ouverte à cet endroit-là. Mais tout ce qu’on sait sur le consultant, c’est qu’il n’y a pas encore été, sinon le conseil ne lui serait pas donné. L’As représente quelque chose qui n’est qu’une possibilité, donc qui n’a pas été réalisé, et il faut prendre cela en compte dans l’interprétation.
Ces notions-là (désir, affect, etc) n’ont pas besoin de nous attendre pour exister. Elles sont toujours déjà présentes, parce qu’il y a eu d’autres hommes avant nous pour les constater. Lorsque nous nous rendons compte que notre désir se développe, nous ne faisons que reconnaître cette notion. Par conséquent, il n’y a pas à représenter de personnage sur ces cartes, puisqu’elles représent des notions indépendantes de nous.
Les deux autres cartes sont d’abord moins immédiat, parce qu’elles représentent des points dans le développement de leurs notions respectives (le désir et l’intellect) qui sont problématiques pour nous.
Souvenons-nous des clefs que nous avons déjà données pour l’interprétation des mineures. Le Trois d’Epées, c’est « 3 » (créativité) + Epées (intellect), donc elle représente ce que c’est que la créativité, pour l’intellect. La partie créative de l’intellect, c’est le raisonnement : on prend des idées, et on les fait produire (générer, créer) quelque chose de plus que ce qu’on savait au départ.
Or, qu’est-ce que c’est qu’un raisonnement logique ? C’est quelque chose qui n’a pas besoin de moi, de ma particularité, de ma personnalité, pour exister. Exemple de raisonnement logique : résoudre une équation de mathématiques. Quels que soient ma personnalité, mon désir, ma différence par rapport à autrui, la solution de l’équation de mathématiques sera toujours la même. Le travail de l’étudiant en mathématiques ne consiste qu’à mettre à jour la solution (x égale tant) qui était déjà contenue dans l’énoncé de l’équation, mais cachée. Que cet étudiant soit gentil ou méchant ne change rien à la valeur de x. Par conséquent, le raisonnement logique n’a pas besoin de prendre en compte l’individu. Il n’y a donc pas de personnage à représenter sur la carte.
Et c’est pour cela qu’elle montre des épées qui percent un coeur : comme le raisonnement logique n’a rien à faire de notre individu, il n’hésitera pas à écraser les sentiments. Cela vous fait du mal que x égale tant ? la logique n’en a rien à faire, c’est pareil et vous pouvez toujours pleurer. Vous découvrez que raisonner, cela amène à trancher, et que trancher blesse ? C’est comme ça, c’est contenu dans le terme de toute façon.
Le Huit de Bâtons, c’est « 8 » (s’exprimer librement) + « Bâton » (désir), donc elle représente ce que c’est que s’exprimer librement, pour le désir. C’est donc le moment où ce que je désire faire peut se faire sans problème, parce que j’ai surmonté les obstacles qui se dressaient devant moi (au moment du 7 de Bâtons). Par exemple, c’est le moment où un écrivain se rend compte que son texte « s’écrit tout seul », tant il est parvenu à maîtriser son sujet, à se créer des conditions de calme suffisant, et à aiguiser sa concentration. C’est l’éclair où un jeune homme se rend compte que son désir va trop vite pour lui : il a vu cette personne, tout s’est passé à la perfection, il en est resté subjugué, ça y est, c’est le coup de foudre – « mais je la connais à peine ! » se dit-il. Il n’a rien décidé, c’est plus fort que lui… C’est aussi le SMS qui part instantanément à l’autre bout de la planète, informant notre ami lointain de notre pensée en une fraction de seconde, tout en se fichant bien de savoir si nous, nous comprenons comment tout cela fonctionne.
On se rend compte que dans tous ces exemples, certes, il s’agit bien de mon désir authentique (l’écriture, l’amour, mon envie de transmettre mon idée à mon ami), mais que ce désir, une fois libéré de tous les obstacles, nous donne l’impression de nous laisser un peu sur le carreau. Si le texte s’écrit « tout seul », est-ce vraiment l’écrivain qui compte ? A voir les sacrifices que certains ont pu faire, et qui les ont parfois laissés misérables dans une mansarde, on arrive à en douter (et l’amertume des 9 et 10 de bâtons vient nous le confirmer). Ce désir semble bien nous dépasser, nous oublier quelque peu à partir du moment où on le laisse aller à bride abattue. Voilà pourquoi le Huit ne représente pas de personnage : c’est le moment où le désir galope tout seul, et nous oublie.
Ces moments où nous nous rendons compte que le désir ou l’intellect peuvent nous oublier ou nous ignorer, ils font partie de notre expérience, bien sûr. Donc, les arcanes mineures doivent en parler. Mais ce sont aussi des moments où nous nous rendons compte que nous n’avons pas forcément notre mot à dire. Par conséquent, les cartes qui en parlent nous « oublient » volontairement, pour nous permettre d’y réfléchir.
Laisser un commentaire