Tout le monde n’est pas forcément séduit par les jeux illustrés modernes. Face au foisonnement du marché, ceux qui cherchent le meilleur tarot pour eux se demandent forcément : quel est le vrai tarot de Marseille ? Quel est le tarot de Marseille original, le plus ancien… bref, quel est le véritable tarot de Marseille ?

Il paraît évident que plus on remonte loin, plus on s’éloignera des réinterprétations modernes pour toucher à la source d’une tradition un peu mystérieuse. Mais la réalité est un peu différente, d’autant plus que l’ésotérisme commercial encourage un flou souvent mensonger. Pour bien choisir son jeu, donc, il faut savoir de quoi on parle… et faire preuve d’esprit critique.

D’abord, ce qu’on appelle aujourd’hui « tarot de Marseille » n’est pas un jeu particulier, mais un type de jeux. On range même les tarots de Marseille en deux types : les type I, légèrement différents de ce dont nous avons l’habitude aujourd’hui, et les type II, ceux qui ont inspiré la tradition de lecture des occultistes et des tarologues. Eh oui, lire le tarot est une pratique tardive, datant de bien longtemps après l’apparition du tarot lui-même, qui servait originellement à jouer. Donc, les jeux les plus conformes à la tradition de la lecture du tarot sont ceux qu’elle a pris comme support au fur et à mesure de son développement. Il est facile de les identifier : ce sont globalement ceux basés sur celui dit de Nicolas Conver, daté de 1760.

Difficulté supplémentaire : aujourd’hui, les deux jeux les plus répandus dans le commerce sont des jeux modernes, modifiés, qui essaient de se faire passer pour plus anciens qu’ils ne sont. Mieux vaut bien comprendre de quoi il retourne pour choisir ce qui nous correspond le mieux.

3. Le Tarot de Marseille de Camoin-Jodorowsky

Le Camoin-Jodorowsky est un jeu répandu, très réussi, mais dont la présentation me pose problème. Philippe Camoin a fait le choix de se baser sur un tarot de Conver (en effet le plus « authentique » en rapport avec cette tradition), mais pour le modifier en fonction de son ressenti personnel, en y ajoutant des détails trouvés dans d’autres jeux d’origines différentes. Comme il le reconnaît bien, il ne s’agit donc pas d’un tarot historique, mais d’une (très belle) création moderne.

Seulement, la qualité de sa création est ensuite gâtée par ses affirmations, selon lesquelles il ne s’agissait pas en fait juste d’une création personnelle, mais de reconstituer a posteriori une tradition initiatique ancienne dont personne n’a entendu parler (surtout les historiens), mais qu’il faudrait réinventer soi-même, mais de façon conforme à quelque chose d’ancien, qui aurait existé si les gens avaient été assez initiés pour s’en rendre compte (c’est ce que je retiens de la présentation sur son site). Alerte rouge pour notre esprit critique.

En réalité, si ce jeu est identifié comme référence aujourd’hui par un certain public, c’est surtout parce que son auteur a affirmé que c’en était une, sans lien avec une quelconque vérité historique. On est bien sur une création artistique personnelle et moderne, faite par ordinateur en 1997, mais pas sur un tarot de Marseille « authentique ». Sa beauté reste inchangée ; il convient donc de s’en servir en toute connaissance de cause, pour éviter des affirmations souvent gênantes.

2. L’Ancien tarot de Marseille, de Paul Marteau

Un jeu plus intéressant, tout aussi répandu, c’est l’Ancien tarot de Marseille édité par Grimaud en 1930 (le Rider-Waite est donc plus ancien de vingt ans). Dessiné par un véritable spécialiste des cartes, il se base sur une version très tardive du tarot de Conver (sans doute l’édition de 1880), et d’un autre tarot édité par la maison Lequart la même année. Son 2 de Deniers en porte encore la trace, avec la date 1748 : celle-ci a sans doute été rajoutée par Lequart, pour donner à son jeu une apparence « ancienne » alors qu’il venait juste d’être redessiné. Vendu sous le nom de « Tarot Italien », c’était en réalité un tarot dit de Besançon, c’est-à-dire avec Junon et Jupiter à la place du Pape et de la Papesse.

Connaisseur des cartes, Paul Marteau a fait le choix de modifier ce jeu pour le rapprocher du Conver lorsqu’il a pris la tête de la maison Grimaud. La Papesse et le Pape ont alors repris leur place, et le titre est devenu Ancien tarot de Marseille. Seulement, il prenait pour modèle une édition tardive du Conver, datée de 1880. Sur ces éditions nouvelles, le nombre de couleurs était réduit à quatre pour répondre aux exigences de la production industrielle (en fait une histoire de taxes) ; en réalité, les plus anciens Conver en comportaient six. Dommage pour les auteurs qui basent un grand nombre de leurs interprétations sur les couleurs du Marteau !

Avec l’Ancien tarot de Marseille, nous sommes donc sur un jeu « patchwork », dont l’influence assoit clairement la tradition du côté de Conver, tout en le simplifiant. Vendu dans une boîte en carton sans prétention (elle s’arrache vite), il est très bon marché, ce qui a contribué à son succès depuis 1930.

1. Le Tarot (dit) de Nicolas Conver

Le tarot qui a servi de base à toute cette tradition tarologique est dit de Nicolas Conver, bien qu’en réalité plus ancien. Conver est un graveur du dix-neuvième siècle ; il avait racheté des moules à carte à un prédécesseur, et a gardé la date ancienne. C’est la raison pour laquelle le 2 de Deniers porte son nom, Conver, mais la date de 1760, qui est bien antérieure à ses débuts de maître cartier.

Si l’on cherche un égrégor, c’est celui-là : ce tarot a connu bien des déclinaisons, mais c’est toujours le même modèle que l’on retrouve derrière la tradition française. C’est Papus qui marque le premier la supériorité du tarot de Marseille sur le tarot de Besançon, dans son livre Le Tarot des Bohémiens (1889) ; se lance alors un mouvement de recherche du tarot le plus « pur », et on s’accorde rapidement à identifier le Conver comme la source la plus authentique d’un tarot traditionnel. C’est donc pendant la vague de l’occultisme du dix-neuvième siècle que s’est véritablement construit notre tradition de lecture, sur la base de ce seul tarot.

Il existe de nombreuses éditions du Conver. Jusqu’ici, les exemplaires disponibles sur le marché étaient vraiment très décevants. Heureusement, Animae réédite cette année la version de 1760, c’est-à-dire celle dont la palette de couleurs est d’origine. Donc, on retrouve la richesse des couleurs originales sans la réduction reproduite par Grimaud, et sans les détails supplémentaires ajoutés par Camoin, ce qui me paraît important. Aussi, il s’agit d’un fac-similé direct du jeu ancien, ce qui permet d’éviter le fond blanc cru et la dureté des traits que je trouve personnellement beaucoup trop clinique et artificiel dans les reconstitutions modernes.

C’est moi qui ai écrit le livret accompagnant les cartes ; j’y donne notamment des moyens mnémotechniques pour retrouver les significations des cartes mineures à partir de leurs dessins, et des techniques de tirages profondément ancrées dans la tradition tarologique (notamment la Méthode des Sept Voiles). Vous trouverez dans le coffret le jeu de Nicolas Conver tel qu’il est conservé à la Bibliothèque Nationale de France ; il est inchangé, ayant conservé son dos authentique, sauf pour l’ajout d’une dorure sur les tranches qui donne le côté précieux qui va bien à une lecture de tarot introspective. Le format légèrement réduit (10×5,5cm) permet aux petites mains de battre les cartes avec confort.

Donc si vous vous demandez quel est le tarot de Marseille originel, n’oubliez pas :

  • le nom « tarot de Marseille » ne désigne pas un jeu particulier, mais un type de jeux.
  • le tarot de Marseille le plus « authentique » n’est pas le plus ancien, mais celui sur lequel s’est basée la tradition de lecture du tarot (qui est postérieure à l’apparition des jeux, donc un tarot plus ancien, comme le Visconti, résonnera beaucoup plus difficilement).
  • cette tradition de lecture a installé le tarot dit de Nicolas Conver dans une position de référence, à travers les éditeurs comme Grimaud se basant sur lui, mais dans une version légèrement appauvrie.
  • Pour retrouver le Conver avec ses couleurs d’origine, il faut revenir à une reproduction plus ancienne. Celle-ci sera disponible en librairie à partir du 18 septembre.

Voici une présentation sur YouTuve où l’on voit toutes les cartes.

Dans tous les cas, on choisit son jeu en fonction de son ressenti personnel, et surtout avec recul ! Pour une vision plus large et accessible de l’histoire du Tarot, n’hésitez pas à feuilleter l’excellent livre d’Isabelle Nadolny.