Qui est vraiment Pamela Colman-Smith ? L’illustratrice à qui l’on doit le Rider-Waite, ou tarot Waite-Smith, bien sûr, mais aussi une personne à part entière, dont la vie ne correspond pas toujours à ce qu’on a l’habitude d’en lire. On l’a souvent élevée au rang d’icône gay, elle s’est parfois présentée comme jamaïcaine (ou, une fois, japonaise), et on ne peut que la relier aujourd’hui au tarot qui l’a rendue célèbre. Mais la légende correspond-elle vraiment à sa réalité ? Petit plongeon dans les sources historiques !
Cet article est la retranscription de mon épisode sur le podcast Le Magicien, donc allez là (ou sur votre plateforme de podcast préférée) si vous préférez la version audio. Livres utiles :
Dawn Robinson – Pamela Colman Smith, Tarot Artist : The Pious Pixie
Stuart Kaplan – Pamela Colman Smith, the Untold Story
Pamela Colman Smith – Annancy Stories (le livre de contes jamaïcains)
Pour en savoir plus sur la Golden Dawn, le même podcast contient une chronique détaillée en deux épisodes sur son histoire et ses secrets.
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Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à Pamela Colman-Smith. Vous la connaissez forcément, soit de nom, soit indirectement, à travers son impact sur le tarot moderne. C’est grâce à son travail de dessinatrice sur le tarot Rider-Waite-Smith que l’on peut profiter aujourd’hui de tellement de tarots illustrés accessibles à tous, parce que l’immense majorité des tarots modernes sont des variations sur son travail.
Quand étudie son histoire de plus près, on se rend compte que de nombreuses légendes entourent sa vie et sa relation avec le tarot. Je vais tenter de dissiper ces mythes en m’appuyant entre autres sur le livre de Dawn Robinson, The Pious Pixie, un livre d’histoire particulièrement intéressant pour comprendre la personnalité de Pamela Coleman-Smith à travers les nombreuses traces historiques dont nous disposons.
Nous allons donc voir qui était vraiment Pamela, comment elle a vécu et comment elle a réellement appréhendé le tarot qui l’a rendue célèbre. Cela nous aidera à éliminer le côté légendaire qui a tendance à ignorer la vérité de sa vie pour la rendre plus compatible avec nos fantasmes et nos envies, c’est-à-dire à lui rendre enfin l’hommage qu’elle mérite.
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Le mythe de ses origines
On a l’habitude de présenter Pamela comme un OVNI, femme, métisse, gay, et intuitive, dans une société entièrement dominée par le patriarcat blanc.
Un OVNI, elle l’était réellement, mais en réalité pas pour toutes ces raisons-là.
Toutes les ressources tarologiques sont d’accord pour dire que Pamela Colman-Smith était métisse, avec une mère jamaïcaine et un père américain. Cette idée provient en partie de ses nombreux voyages en Jamaïque et de ses illustrations pour un livre de contes jamaïcains, qu’elle a ensuite réutilisé dans des performances de conteuse qui lui permettaient de gagner sa vie. Cependant, selon l’historienne Dawn Robinson, il n’y a aucune preuve qu’elle ait réellement eu de lien de sang avec une minorité. En réalité, ses parents étaient tous les deux issus de familles américaines blanches d’origine anglaise et avaient de l’argent. Le lien avec la Jamaïque provient du fait que son père travaillait pour une compagnie coloniale qui l’amenait à fréquemment voyager entre la Jamaïque et New York. Ses parents américains ont fini par s’installer à Manchester, en Angleterre, où Pamela a grandi. Par ailleurs, dans les documents dont nous disposons, sa mère est toujours décrite comme blanche et blonde.
Il semble donc que Pamela ait aimé tirer parti de ses cheveux bruns pour adopter une présentation exotique, et qu’elle ait utilisé des éléments culturels jamaïcains et gitans dans ses performances pour créer un effet enchanteur. On pourrait lui reprocher cette appropriation culturelle, mais il ne faut pas oublier qu’en tant que femme artiste non mariée à l’époque, c’était littéralement une question de survie. Il lui fallait attirer l’attention pour décrocher des contrats dans les milieux artistiques, et sans cette différentiation qui pouvait parler à une époque friande d’exotisme, elle aurait bien pu se retrouver sans rien.
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Le mythe de sa sexualité
Quand on considère sa correspondance et les témoignages de ses contemporains, l’image qui se dégage est celle de quelqu’un qui n’était vraiment pas intéressé par les questions sexuelles. Dans la société ultra patriarcale dans laquelle elle évoluait, le mariage n’était pas une partie de plaisir : comme elle l’avait appris avec sa mère, les femmes étaient là pour faire des enfants et soutenir leur mari, point. Pamela était une personnalité forte, féministe, et passionnée, ce qui n’était pas pour lui donner envie de se trouver un homme ; d’ailleurs, ça ne la rendait pas du tout attirante pour les hommes de l’époque non plus.
Comme elle ne s’est jamais mariée, on a pris l’habitude d’en déduire qu’elle était lesbienne, sans doute pour coller avec son importance dans le monde du tarot, où les communautés sont très féminines et habituées à se retrouver à la marge ; c’est aussi cohérent avec son intérêt constant pour les questions féministes, qui l’ont amenée à fréquenter des femmes émancipées, souvent habillées à la mode masculine, et en effet parfois gay. Mais en fait, dans les sources historiques, il n’y a absolument aucune trace dans sa vie de relation amoureuse, sexuelle, ou même d’attirance, ni envers un homme, ni envers une femme. On lui trouvait une personnalité enfantine, et elle ne cherchait pas à attirer l’attention par sa tenue. On n’a aucune trace ni aucun témoignage d’aucun flirt, crush, ou quoi que ce soit, avec qui que ce soit. Le seul élément qui permettrait d’extrapoler un lien avec une femme serait le fait qu’elle a cohabité avec sa collègue Nora Lake à la fin de sa vie. Cependant, ce n’est pas parce qu’on est en coloc avec quelqu’un qu’on en est amoureux : elle l’a toujours appelée madame, et rien n’indique que cela ait été autre chose qu’un arrangement nécessaire pour partager les frais de logement et s’entraider, à un moment où elles étaient toutes les deux pauvres et en mauvaise santé.
Il reste possible que Pamela ait fait preuve d’une discrétion totale sur ses relations, mais c’est assez difficile à réconcilier avec le fait que ses lettres débordent de détails sur ce qui lui arrive et sur ses moindres sentiments. Peut-être qu’elle n’était simplement pas intéressée. A l’époque, on ne parlait pas d’asexualité, mais peut-être Pamela aurait-elle pu se reconnaître dans les discours d’aujourd’hui à ce sujet : on accepte maintenant que ce soit ok de ne pas se définir en premier lieu par son activité génitale. Si Pamela était plus intéressée par l’art que par le sexe, eh bien tant mieux pour l’art. En tout cas, ce qui est vrai, c’est qu’elle était ardemment féministe : elle a beaucoup milité pour le droit de vote des femmes, notamment en produisant des affiches et des illustrations humoristiques.
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Le mythe de l’importance du tarot
Pour y voir plus clair à ce sujet, il va falloir comprendre un peu quelle était sa vie en tant qu’artiste.
A 19 ans, elle est partie étudier l’art à Brooklyn, où elle a appris des techniques japonaises comme la coloration à la main à l’aquarelle pour les photos et les illustrations. Elle a rapidement pu exposer ses dessins et obtenir quelques contrats d’illustration. Elle a également travaillé pour le théâtre, où elle était connue sous le nom de « Pixie », et où elle a fréquenté des personnalités telles que Bram Stoker, l’auteur de Dracula.
Pamela avait une sensibilité exceptionnelle et ses lettres expriment énormément d’excitation, avec des points d’exclamation partout et pas mal de fautes d’orthographe. Ses lettres démontrent une grande capacité à observer les gens et à comprendre leur caractère et leur apparence, qu’elle peignait avec humour. Peut-être qu’aujourd’hui, elle aurait été reconnue comme hypersensible.
Le côté plus sombre, c’est qu’elle se sentait souvent à la marge et avait du mal à tisser des liens solides autour d’elle. Elle s’était construit un personnage public fait de mystère et d’ambiguïté pour se faire accepter dans un milieu artistique toujours à la recherche d’exotisme ; peut-être que cela s’est retourné contre elle en l’empêchant de nouer des relations sincères. Elle avait aussi tendance à partir dans tous les sens, ce qui la handicapait beaucoup pour les travaux d’écriture. Elle débordait de créativité, mais ses tentatives de publication se soldaient toujours par des refus, et elle n’a jamais pu gagner sa vie de ce côté-là. De toute façon, il était quasi impossible pour une femme d’être reconnue comme artiste sérieuse, c’est-à-dire professionnelle, à l’époque : normalement, une femme ne pouvait que se livrer en amateur à des pratiques artistiques, tout en profitant de la stabilité financière fournie par son mari. Ce n’était pas le cas de Pamela.
Par conséquent, elle s’est retrouvée obligée de travailler énormément pour ne jamais gagner grand’chose. Elle vend tout ce qu’elle peut, des illustrations pour toutes sortes de projets, des petites boîtes peintes, des jouets, toutes sortes de choses qui lui prennent beaucoup de temps à fabriquer mais se vendent pour des sommes dérisoires ; elle travaille pour des troupes théâtrales en tant que costumière, elle participe aux décors et parfois joue de tout petits rôles ; elle vend des prestations de conteuse en soirée privée, où elle raconte des histoires populaires jamaïcaines avec un costume de gitane et un fort accent exotique. Les témoignages sont unanimes : son talent de conteuse est immense. Mais comme elle a besoin de gagner de l’argent par n’importe quel moyen, elle se disperse, donc elle a du mal à faire reconnaître son talent ; surtout, puisqu’elle compte sur une présentation exotique pour décrocher de petits contrats, le racisme ambiant lui interdit d’être prise au sérieux comme vraie artiste professionnelle. Cela ferme absolument la porte à tout contrat plus lucratif. Elle est donc condamnée à ne jamais gagner que très peu d’argent, ce qui a été un grave problème toute sa vie.
C’est donc extrêmement frustrant pour elle : elle est douée d’une sensibilité énorme et vient d’une famille aisée, mais souffre constamment de la pauvreté, du manque de reconnaissance, et du manque de soutien à cause de la difficulté qu’elle a à se sentir faire partie d’une communauté.
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Entrée à la Golden Dawn
En 1901, elle rejoint la Golden Dawn, un ordre occulte où elle connaissait déjà Bram Stoker (s’il y était, on n’est pas totalement sûr, mais il y a de bonnes chances) et le poète Yeats. Bien qu’elle n’ait jamais été une personnalité intellectuelle, elle était intéressée par le côté cérémoniel de cette société, comme elle le sera plus tard dans le catholicisme. Peut-être a-t-elle aussi été séduite grâce à son intérêt pour le féminisme : cet ordre était le premier où les hommes et les femmes travaillaient ensemble en tant qu’égaux dans des cérémonies magiques visant à tester, purifier et élever la nature spirituelle de l’individu. Cela n’empêchait pas qu’à l’extérieur de l’ordre, c’étaient toujours les hommes qui brillaient et jamais les femmes, mais c’était normal pour le reste de la société de l’époque.
A l’arrivée de Pamela, le Tarot était déjà un outil d’initiation et d’introspection pour la Golden Dawn. Les membres étaient très fortement encouragés à concevoir leur propre tarot, parce que c’est une façon très efficace de se lancer dans le travail symbolique. Pamela a suivi les rituels de la Golden Dawn pendant quelques années, ce qui lui a permis de rencontrer Arthur Waite, alors occultiste et poète. Il la trouve très imaginative, et se montre impressionné par son intuition. Plus tard, il dira qu’il l’a choisie parce qu’en plus de l’évidence de ses dons, Pamela faisait preuve d’une certaine compréhension des valeurs du tarot ; cela, c’est lui qui le dit, mais la réalité, c’est surtout qu’elle n’était vraiment pas chère. En 1909, elle écrit à un de ses amis « je viens de finir un très gros travail, pour très peu d’argent ».
Tout le monde le sait aujourd’hui : Waite lui a promis une toute petite somme pour dessiner les 78 cartes que nous connaissons, et pas de droits d’auteur. En fait, ça colle avec la façon dont Pamela conduisait ses affaires à l’époque. Elle avait vraiment besoin d’argent pour survivre, donc était obligée d’accepter tout ce qui venait, même si c’était mal payé. Surtout, elle s’était trop souvent faite avoir par des clients qui lui avaient promis de l’argent « plus tard » pour disparaître ensuite, on peut donc comprendre qu’elle ait préféré toucher un peu d’argent tout de suite, plutôt que d’en toucher davantage… jamais. Déjà, ça ne se faisait pas vraiment pour un dessinateur de négocier des royalties à l’époque, et surtout, elle n’était pas du tout en position de le faire.
De toute façon, si elle avait eu des droits d’auteur, cela n’aurait absolument rien changé pour elle. Quand ce tarot a été publié pour la première fois, personne ne s’y est intéressé. Ce n’est qu’après sa mort que le jeu a vraiment trouvé sa popularité. Le Rider-Waite a d’abord été publié en 1910, et il a fallu attendre 1971 pour une réédition, ce qui est extrêmement long – Pamela était déjà morte depuis vingt ans. C’est vraiment dans les années 70 et 80 que le Rider-Waite a connu son explosion, et qu’il s’est vraiment mis à ramener beaucoup d’argent. Donc l’arnaque la plus importante, ça a été de ne pas mettre son nom sur la boîte.
Waite a toujours prétendu que c’était lui qui avait dirigé tout le travail, alors que c’est faux : tout son apport s’est concentré sur les majeures, parce qu’en réalité les mineures ne l’intéressaient pas. Il a donc laissé Pamela entièrement libre pour la composition et les détails des cartes mineures. La grande nouveauté du Rider-Waite, c’étaient justement ces mineures illustrées, et ce sont elles qui font qu’on s’y intéresse encore aujourd’hui : les mineures de Pamela sont simples, intuitives et directes, comme elle, au lieu d’être chargées de multiples symboles ésotériques compliqués et abstraits comme les arcanes majeurs dirigés par Waite. Parmi ceux-là, il a surtout dirigé la composition du Mat, de la Papesse et du Pendu. Cela a peut-être agacé Pamela, surtout pour le Mat : sa signature apparaît sur toutes les cartes sauf celle-là… Au final, on retrouve bien la patte de chacun des deux auteurs dans ce tarot : les cartes majeures sont abstraites et chargées, les mineures sont simples et intuitives. (Allez voir du côté du tarot Marseille-Waite pour revenir à la simplicité des majeures du Marseille, et garder les mineures intuitives).
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Inspirations
Le travail de Pamela en général est très influencé par l’art nouveau et l’art japonais. On lui trouve des points communs avec les illustrations à l’encre de l’artiste anglais Aubry Beardsley, très art nouveau, avec de longs corps élégants, délimités par des traits qui semblent partir en un large mouvement dynamique. Elle a pu aussi s’inspirer des couleurs saturées des gravures sur bois japonaises traditionnelles, et des peintures lumineuses des préraphaélites.
Le Rider-Waite n’est pas le premier tarot illustré de l’histoire : ce serait le Sola-Busca, un tarot italien du XVe siècle. Ce jeu a d’ailleurs inspiré Pamela pour son deck : on y retrouve le même cœur percé de 3 épées, avec la même composition et les mêmes angles, et le même personnage courbé sous un fardeau pour le 10 de Bâtons. Le reste est issu de sa propre composition. Elle a aussi glissé des éléments de sa vie dans quelques cartes. J’ai vu des photographies d’époque où elle apparaît aux côtés d’un chat noir et d’un petit chien blanc, et je pense que ce sont ces animaux favoris que l’on retrouve sur le Mat et la Reine de Bâtons. Les historiens s’accordent aussi à voir les portraits de ses amies actrices Ellen Terry pour cette même Reine de Bâtons, et Florence Farr pour le Monde.
Le deck a été dessiné à la plume, possiblement au-dessus d’un croquis au crayon. Les dessins originaux sont perdus ; si elle les avait coloriés elle-même, cela aurait été à l’aquarelle, sa technique favorite. Les couleurs du Rider-Waite que l’on possède aujourd’hui ont été rajoutées après coup.
Pamela Colman-Smith a créé l’ensemble du deck en six mois. Cela montre une force de travail hors du commun, mais c’est peut-être aussi un indice du niveau de pression financière auquel elle était confrontée.
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Après le Rider-Waite
Après avoir créé le tarot qui la rendit célèbre vingt ans après sa mort, Pamela a en fait vite cessé de s’intéresser à l’occultisme. La Golden Dawn avait répondu à sa soif de rituel et de connexion humaine, mais cet ordre se caractérise aussi par le côté très intellectuel du travail symbolique. Pour cette intuitive, il y avait de quoi s’ennuyer.
Au final, le Rider-Waite était un travail de commande comme beaucoup d’autres. Avec les difficultés financières dont elle a souffert toute sa vie, elle n’avait pas les moyens de choisir ses projets en fonction de ses envies. Heureusement, elle n’était pas qu’une artiste à bas prix, et ses compétences intuitives lui ont permis de créer des images qui nous parlent encore aujourd’hui. Il n’empêche que le Rider-Waite était un travail alimentaire, qui ne l’intéressait pas plus que ça : après l’avoir terminé, elle passa complètement à autre chose, abandonnant l’ésotérisme et même l’art en général trois ans après la parution.
C’était malheureusement assez logique, car ses productions artistiques ne lui avaient jamais rapporté assez d’argent pour vivre. Après sa dernière exposition, elle coupa avec l’occultisme de la façon la plus radicale possible : ayant trouvé Dieu, elle devint fervente catholique. Cela dut la soulager, car elle semblait en avoir vraiment assez de passer pour un OVNI où qu’elle aille ; le catholicisme lui fournit au moins une communauté avec une certaine respectabilité, en plus du rituel et des symboles qui lui avaient tellement plu quand elle s’intéressait à l’ésotérisme.
Un petit héritage familial lui permit alors d’acheter une maison dans les Cornouailles anglaises, dans laquelle elle vécut jusqu’à la fin de ses jours ; pour gagner sa vie, elle en louait une partie à des prêtres. Fidèle à ses convictions féministes, elle s’impliqua énormément dans le mouvement des suffragettes, pour le droit de vote des femmes ; plus tard, elle participa aussi beaucoup aux activités de la Croix-Rouge. Les problèmes d’argent ne cessèrent de la poursuivre jusqu’au bout, où une faiblesse au cœur finit par l’emporter en 1951.
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Sans le travail de Pamela, le tarot n’aurait pas atteint la popularité qu’il a aujourd’hui, puisque l’immense majorité des tarots modernes se basent sur la structure du Rider-Waite. Ce tarot-là l’a rendue célèbre, sans qu’elle l’ait jamais su, mais son nom n’apparaît toujours pas sur les boîtes. Aujourd’hui, on préfère l’appeler tarot Waite-Smith pour lui rendre hommage, mais elle ne considérait pas ce tarot comme l’œuvre de sa vie : elle était pressée par le besoin, et c’était un travail alimentaire comme d’autres. Peut-être est-ce cela qui a fait la qualité intuitive de ce tarot, alors que d’autres produits par passion à la même époque souffrent d’une abstraction qui les rend très difficiles à utiliser.
Au final, l’histoire de Pamela a beaucoup de points communs avec celle d’H.P. Lovecraft, auteur fantastique mort en 1937 : deux personnalités rêveuses et intuitives, issues de familles aisées mais ayant cruellement souffert toute leur vie du manque d’argent, faisant preuve d’un désintérêt total pour le sexe mais capables de voir d’autres mondes au-delà de celui-ci, mortes dans l’anonymat le plus complet, pour devenir célèbres des décennies plus tard et changer le monde de ceux qui sont sensibles à ce qu’il peut y avoir au-delà de la réalité.
Une fois de plus, j’ai été surprise de la différence entre l’histoire racontée par les livres de tarot, et celle racontée par les livres d’histoire. Au final, quand on se penche sur ces derniers, il s’avère que rien ne prouve qu’elle ait été lesbienne ou métisse, contrairement à ce qu’on voit d’habitude (même si une supposée asexualité la rattacherait aujourd’hui au queer, ce n’est pas ce qui était mis en avant par la légende, et elle-même ne mettait absolument pas en avant une quelconque identification) ; de toute façon, ces embellissements ne changent rien à l’affaire puisqu’en tant que femme artiste non mariée, elle était déjà de toute façon victime d’une société patriarcale qui lui interdisait d’être prise au sérieux. Waite l’a en effet très mal payée, mais ce travail alimentaire n’aurait de toute façon pas changé la vie de Pamela si elle avait reçu des royalties, puisqu’il n’a commencé à être reconnu que longtemps après sa mort. C’est une histoire un peu triste, mais au moins, le tarot a sauvé son œuvre de l’oubli complet, ce qui est déjà ça. Pamela Colman-Smith est aujourd’hui exposée à New York aux côtés d’autres artistes modernistes, ce qui est tout de même un beau couronnement pour une vie d’artiste.
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