On bute toujours sur la même question : comment me réaliser ? Pour savoir comment me réaliser, il faut que je me demande ce que c’est que ce « moi » à réaliser. Or, si on savait ce que c’était, on n’aurait pas autant de mal à trouver sa voie ou à faire usage de sa liberté. Depuis le temps que cette question taraude les vivants, des « modes d’emploi » ont commencé à apparaître et à se faire transmettre, mais plus on remonte dans le temps, moins ils sont lisibles.
Il me semble que deux raisons aident à comprendre pourquoi l’ésotérisme ne parle jamais en termes clairs.
1. La réponse à la question « Qui suis-je » est forcément propre à chacun. Par conséquent, on ne peut pas donner de solution directe. Il faut donc passer par des chemins détournés, métaphoriques, qui demandent un important travail personnel ne serait-ce que pour être lisibles. On se rend compte à la fin du chemin que celui-ci n’était en réalité qu’un prétexte sans autre valeur que celui de nous guider dans notre travail.
2. Les sociétés fondées sur l’inégalité (esclavage dans l’Antiquité, féodalité médiévale…) ont intérêt à ce que le mode d’emploi de « comment me réaliser / être libre » soit réservé à certains seulement. Que ferait-on si tout le monde savait que sa « Voie » n’est pas d’être un rouage aveugle dans la machine ? La machine a besoin de rouages, sinon tout s’enraye ! Réserver la question à ceux qui avaient le temps et l’éducation nécessaires pour débrouiller toutes ces choses-là était donc un excellent moyen de maintenir l’ordre ; d’où l’hermétisme de la tradition. Ce n’est pas forcément la faute des ésotéristes : si la persécution a conduit à la dissimulation de leurs enseignements, c’était le but recherché.
L’augmentation de la diffusion des cultures a conduit à ouvrir le débat. Dans son Dogme et rituel de la haute magie, Eliphas Lévi introduit l’idée que les grandes traditions ésotériques parlent en réalité toutes de la même chose malgré leur diversité d’origines et de vocabulaires.
À travers le voile de toutes les allégories hiératiques et mystiques des anciens dogmes, à travers les ténèbres et les épreuves bizarres de toutes les initiations, sous le sceau de toutes les écritures sacrées, dans les ruines de Ninive ou de Thèbes, sur les pierres rongées des anciens temples et sur la face noircie des sphinx de l’Assyrie ou de l’Égypte, dans les peintures monstrueuses ou merveilleuses qui traduisent pour les croyants de l’Inde les pages sacrées des Vedas, dans les emblèmes étranges de nos vieux livres d’alchimie, dans les cérémonies de réception pratiquées par toutes les sociétés mystérieuses, on retrouve les traces d’une doctrine partout la même et partout soigneusement cachée.
Cette doctrine partout la même, c’est tout ce qui tourne autour de la question de l’éveil, de la réalisation de soi, bref, de sa liberté. Chacune de ces traditions enseigne à devenir soi-même. Mais qu’est-ce que ce « moi-même » qu’il m’appartient de réaliser ? Cette question est la plus énigmatique de toutes, puisque je n’en connais pas la réponse. En effet, c’est moi qui suis censé me connaître le mieux, mais à chaque fois que j’apprends quelque chose sur moi j’en suis étonné. J’aime les mathématiques, par contre la philosophie ce n’est pas mon truc ? Ce n’est pas moi qui ai décidé cela. J’ai juste été forcé de le constater quand j’ai rencontré ces deux matières, et maintenant, il va falloir faire avec. Je suis donc une énigme que toute ma vie, je m’efforcerai d’éclairer comme je pourrai.
Ainsi, la maçonnerie parle du passage de la pierre brute (la personnalité telle qu’elle est au naturel, avant tout travail) à la pierre taillée (l’individu débarrassé de ses défauts, démons et fantômes) ; de même, l’alchimie nous enseigne à atteindre le Grand Oeuvre, soit la personnalité réalisée et débarrassée de toutes les impuretés qui la mettaient en contradiction avec elle-même ; etc. Tous ces mots-là ne sont que des métaphores différentes et des vocabulaires différents pour parler de la même question.
Le Tarot s’inscrit aussi là-dedans, avec sa suite qui finit par la représentation en gloire du Monde, sujet pleinement conscient et réalisé. Comme le reste des traditions initiatiques, il était traditionnellement hermétique jusqu’à ce que Pamela Colman-Smith dessine le Rider-Waite. Ses mineures sont illustrées : c’était la première fois qu’un tarot était pensé pour être lu par le plus grand nombre. Il est aujourd’hui répandu dans le monde entier et a transformé des vies qui n’y auraient jamais eu accès sans le travail de Smith.
Aujourd’hui, la plupart des enseignements sont accessibles en une requête Google ; ils sont commentés, expliqués, schématisés à n’en plus finir. C’est heureux, parce que le travail que nous avons à faire est tellement difficile qu’il vaut mieux faire l’économie de la barrière à l’entrée.
Bonjour,
Je suppose que vous connaissez les extraordinaires publications des Éditions Beya, qui éditent, entre autres, toute l’oeuvre inconnue de Paracelse en traduction française.
N’hésitez pas à les contacter.
Cordialement.
Pr Stéphane Feye