Le 4 d’Epées est une carte a priori sans surprise : intellect + stabilité = immobilisme. Mais souvenons-nous que chaque carte contient une leçon qui doit nous aider à mieux comprendre son élément. Le Rider-Waite, qui illustre les significations des lames du tarot de Marseille, représente un gisant dans une église ; ce symbole introduit des notions de mort, de grandeur passée, d’idéalisation… dont il va falloir comprendre la place dans notre leçon. A nouveau, examinons ce que donne la combinaison du chiffre avec notre élément.
Le 4 est toujours un chiffre de stabilité et de sécurité. Il peut se représenter par un carré, qui est la figure géométrique la plus solide ; si les chaises ont en général quatre pieds disposés en carré, c’est que c’est ainsi qu’elles tiennent le mieux au sol, pour nous offrir une assise sans surprise.
L’Epée représente toujours ce qui est d’ordre intellectuel, le mental, la raison. C’est un élément compliqué, comme on peut le voir à la noirceur particulière des cartes qui lui correspondent. En effet, le mental a tendance à prendre toute la place dans notre conscience, car la raison nous convainc que tout ce qui n’en fait pas partie est déraisonnable. Mais ce faisant, il nous coupe d’expériences plus immédiates ; le raisonnement crée de la distance entre le sujet et son expérience, alors que le sentir, l’affect, sont immédiats. Or, ce qui est le plus essentiel chez nous n’est pas forcément de l’ordre de la raison… quelle raison ai-je en effet d’être moi-même plutôt qu’un autre ?
Le Quatre d’Epées suit le 3, qui exprimait la douleur de l’inconciliable. Il a fallu trouver un moyen de la dépasser pour arriver à un sentiment de sécurité. Comment trouver la paix dans l’intellect alors que le propre d’un raisonnement, c’est qu’il peut creuser, se poursuivre à l’infini tant qu’on le fait fonctionner ?
Il faut trouver un point d’ancrage à notre raisonnement, une valeur qui lui permette de ne pas partir dans tous les sens, un clou qui puisse faire qu’un point de vue prévale définitivement parmi les trois qui nous écartelaient. Il s’agit de demander la paix, ce qui est représenté par le vitrail de l’église du Rider-Waite : on y voit une figure agenouillée, suppliant un personnage debout, dont l’auréole contient le mot « Pax ». Or, à qui demande-t-on la paix ? A une autorité, puisque sans autorité pour trancher, il n’y a pas de raison qu’un point de vue prévale plutôt qu’un autre, toutes choses étant égales par ailleurs.
Cette autorité peut être celle de la structure : un rationalisme intellectuel propre et bien agencé, obéissant à des règles claires. Ce sont en effet les règles qui nous libèrent du conflit : un pays en proie au chaos a intérêt à se ranger à l’autorité d’un empereur, dont les règles et les lois le libéreront du tiraillement des conflits particuliers. La lame de l’Empereur est aussi un 4, car c’est la même idée de stabilité et de structure.
Sur l’image du 4 d’Epées, on peut reconnaître le Prince du Chariot ; il est toujours en armure, mais il a perdu sa couronne d’Etoile (et les lunes de la réceptivité à l’émotion). Il est sanctifié, puisque son gisant est conservé dans une église : le travail de recherche de l’autorité a été fait, et on ne revient plus dessus, car la questionner entraînerait une perte de la stabilité conquise. Et en même temps, comme c’est un gisant, il est mort, dépouillé du désir qui l’entraînait en avant. Les Epées sont un élément guerrier ; en temps de paix, elles ne font rien. Cette contradiction est ce qui donne de l’inertie à la carte : il s’agit de trouver la paix, mais c’est une paix pensée de manière guerrière, et lorsqu’on arrête la guerre, les guerriers n’ont plus rien à faire.
On trouve là l’idée que ce que nous avons réalisé (nous adapter au monde en construisant une façon de penser) est derrière nous et qu’il ne faut plus y toucher. Cela fait penser à ces personnes âgées qui racontent sans cesses les mêmes histoires d’un passé glorifié, sans savoir réagir ou s’ouvrir aux nouveautés du présent. Le gisant de pierre illustre la rigidité, le conformisme, qui sont le piège tendu à ceux qui préfèrent s’en remettre à l’autorité qu’à la liberté.
La leçon : en cherchant une certitude intellectuelle pour s’en servir comme point d’appui, on risque de troquer la fatigue de l’aventure contre la rigidité du conformisme. Une bonne autorité, c’est celle qui se fait constamment remettre en question, comme un bon empereur doit chaque jour prouver par ses actes que ses décisions sont prises pour le bien du royaume. Si on recherche l’autorité non pour la questionner mais pour s’y reposer, elle se transforme immédiatement en dictature de l’immobilisme.
Dans un tirage :
Le Quatre d’Epées peut signifier la stabilité, la structure d’un esprit rationnel, bien rangé comme les épées du haut de l’image, mais qui garde quelque chose par-devers lui et manque un peu d’autres expériences plus immédiates.
Jodorowsky nous dit : « La sécurité mentale du Quatre d’Epées est merveilleuse lorsqu’elle représente l’esprit pratique, une intelligence capable de s’incarner et d’organiser la vie matérielle. C’est aussi la base de l’intelligence scientifique. Mais elle peut se muer en un rationalisme fermé sur lui-même, qui tend à exclure l’intuition, la richesse de l’inconscient, le plaisir poétique, les idées révolutionnaires et tant d’autres choses que l’on trouve en établissant un pont vers les mystères de l’esprit ». Ces mystères de l’esprit sont davantage du ressort de la Papesse ; il peut servir d’être attentif à sa présence ou à celles de cartes qui parlent de désir, d’affect (bâtons et coupes) pour voir si elles se font obstacle.
L’enfermement du 4 d’Epées peut aussi faire référence à la maladie, pendant laquelle on reste au lit sans bouger « en attendant que ça passe ». A ce moment, l’autorité à laquelle on s’en remet est celle du médecin. Le repli sur soi impliqué par la carte peut aussi être une réaction contre les influences contradictoires qu’on rencontre dans le monde : à ce moment l’autorité est définie de façon négative, d’où le fait qu’on n’avance pas non plus.
La conjonction des idées de repli et de maladie peut indiquer un désir de mort inconscient ; la solution est à chercher dans les cartes qui parlent de rayonnement, de désir et de vie.
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