Retranscription de mon interview par le grand Grimoire de Mnémosyne, qui a changé d’adresse. Vous pouvez aussi suivre celles du blog d’Oraclinzel pour d’autres portraits de pétillants tarophiles !

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1/ Pourriez-vous succinctement nous rappeler l’historique des tarots anglo-saxons ?

thoth tarot magicien crowleyLe tarot a commencé comme jeu de cartes à la Renaissance. Trois siècles plus tard, Antoine Court de Gébelin émit l’idée saugrenue que loin d’être un trivial amusement, c’était un mystérieux livre contenant de grands secrets cachés. A partir de là, les occultistes français ont travaillé à rattacher les cartes du tarot aux concepts des disciplines « initiatiques » (astrologie, numérologie, kabbale etc). Et à la fin du 19ème siècle, en Angleterre, l’Hermetic of the Golden Dawn a pris le relais. Cet ordre de magie « théurgique » (invocatoire) s’est attaché à parfaire le travail de correspondance déjà existant pour intégrer complètement le tarot à leur travail initiatique. C’est dans ce contexte qu’Arthur Waite a commandé à Pamela Colman-Smith un tarot entièrement illustré, de façon à aussi rendre visibles les significations rattachées aux cartes mineures à ce moment-là. Ce jeu-là est resté célèbre, parce que beaucoup plus facile à lire que les jeux aux mineures abstraites – évidemment, puisqu’il était fait pour être lu, contrairement au jeu de tarot historique. De cette époque nous est aussi resté le superbe Thoth d’Aleister Crowley et Frieda Harris, mais sa complexité l’a empêché d’atteindre tout à fait le même niveau de notoriété.

Au final, on se retrouve avec deux familles de tarots : les anglo-saxons, explicitement faits pour le travail initiatique, et ceux de type Marseille, restés plus proches de leur nature de cartes à jouer de la Renaissance.

 

2/ Est-il toujours vrai que les tarots dits de Marseille et ceux de type Rider-Waite-Smith ont leur continent de prédilection ? L’intérêt qu’on leur porte n’est-il pas plus souple et vaste aujourd’hui ?

Le RWS est toujours majoritaire « chez eux » comme le TDM l’est « chez nous », mais les frontières ne sont enfin plus hermétiques ! Les réseaux sociaux ont complètement changé la donne. Ceux qui prennent la parole aujourd’hui sont jeunes et décomplexés : ils n’hésitent pas à parler en leur nom propre, avec des idées originales et peu de révérence envers la « tradition ». Ils maîtrisent les nouvelles technologies et la culture web, ce qui va très souvent de pair avec l’anglais. Par conséquent, on se retrouve avec une vague de bloggeurs, youtubeurs, instagrammeurs… qui montrent des tirages à l’anglo-saxonne, en expliquant clairement leur méthode et en privilégiant le visuel. Leur communication par l’image les pousse à mettre en avant les jeux illustrés, beaux et innovants. Le tarot devient « mainstream », les jeux de type RWS percent enfin du côté français.

Ça marche aussi dans l’autre sens : certains lecteurs anglo-saxons disent qu’ils aiment mieux les cartes abstraites des tarots de type Marseille parce qu’ils trouvent plus facile d’avoir des fulgurances intuitives quand on ne leur impose rien de précis. Au final, Internet nous apporte à la fois hyper-globalisation et hyper-individualisation : chacun est encouragé à trouver l’outil qui lui parle le mieux, à lui, personnellement, parmi une incroyable diversité, en s’affranchissant de l’idée qu’une seule vérité vaudrait pour tous.

 

3/ Il m’a semblé comprendre qu’il y avait une différence interprétative entre les premiers écrits d’Arthur Edward Waite et ce qui a suivi, une sorte de confusion entre ses écrits et leur transmission ultérieure ?

Au sujet de ses écrits en général, je ne sais pas. Waite est loin d’être mon auteur préféré, je suis bien plus séduite par Crowley qui au moins fait des blagues. Je m’intéresse plus au système Rider-Waite-Smith existant qu’à sa genèse.

 

4/ J’ai également vu passer plusieurs variations du jeu – dessiné par Pamela Colman-Smith – avec une réflexion indécise sur leur primauté et catalogués, en fonction de leur différence de colorisation, en A, B, C… Qu’en savez-vous ?

Pas grand’chose. Ce qui m’intéresse, c’est lire le Tarot, pas faire une thèse sur le travail de Pamela Colman-Smith – travail sans doute passionnant, mais qui n’est pas le mien. Aussi, les questions de datation vont souvent de pair avec l’idée de chercher la version qui serait la « plus » vraie, qui ferait autorité, qui serait plus authentique… questions qui n’ont plus vraiment de sens quand on considère que l’intérêt du Tarot, c’est sa capacité à servir de prétexte pour construire une réflexion personnelle.

 

5/ N’est-il pas surprenant de voir que l’on oppose encore régulièrement le « Rider-Waite-Smith » au « de Marseille », comme s’il n’y avait que ces deux-là… alors que ces deux-là ne sont pas tous parfaitement identiques entre eux.

Cela ne me choque pas particulièrement. On peut parler de « tarot de Marseille » pour désigner non pas un jeu particulier, mais tous les jeux avec les cartes à points abstraites. N’ayant pas été créés en lien avec des interprétations, ces jeux-là ont en commun de laisser beaucoup de latitude à leurs lecteurs (qui plaqueront notamment le système numérologique qu’ils voudront sur leurs mineures, ce n’est pas parce que de grands auteurs en ont donné de très bien que personne d’autre n’a le droit de le faire).

Le Rider, c’est un peu différent puisqu’il est explicitement fait pour être interprété. On est vraiment très cadré, la précision des images empêche d’y voir ce qu’on veut. C’est une caractéristique partagée par tous les Rider-like, avec les milliers de variations que l’on connaît aujourd’hui. Chacune de ces variations permettent de découvrir l’interprétation personnelle de son auteur, mais le système de base reste là, on y retrouve en général ses petits. L’attitude me paraît assez différente. Les « Rider-Waite-Smith » contiennent explicitement un système de pensée, pas les « de Marseille ».

 

6/ Il est à souligner que le « Rider-Waite-Smith » se laisse davantage réinventer et renouveler, sans créer de polémiques de spécialistes sur sa légitimité, contrairement au sacro-saint « de Marseille ».  En va-t-il de même quant aux interprétations données aux cartes ?

Dans les livres anglophones, oui, on trouve des différences d’interprétation, comme partout. Moindres que pour le tarot de Marseille, bien sûr, surtout parce que les illustrations des arcanes mineurs ne laissent pas la même latitude. Mais les auteurs que j’ai lus me paraissaient tous assez d’accord avec l’idée d’inspirer plutôt que d’imposer une lecture. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé avec le Tarot Reversals de Mary Greer. C’est un livre qui se contente de lister toutes les nuances qu’ont prises ses cartes au hasard des consultations, toutes diverses, parfois contradictoires. Cela permet d’utiliser le livre pour choisir celle qui nous parle dans la situation où nous nous trouvons, et laisser les autres de côté. J’ai trouvé ce travail formidable.

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7/ Que pensez-vous du « Before Tarot », de « l’After Tarot » et du « VICEVERSA Tarot » ? J’imagine qu’un tirage avec ces jeux doit donner une expérience inédite !

Je les trouve intéressants à regarder parce qu’ils sont malins et spirituels. Mais j’ai l’impression qu’ils n’ont quand même de valeur qu’en tant que commentaires sur le Rider-Waite de base. Le Valet de Coupes qui fait tomber son poisson par terre parce que la coupe fait un aquarium médiocre, pourquoi pas, c’est drôle et ça peut faire réfléchir. Personnellement, je ne ferais pas tout un tirage avec. Ce sont quand même des private jokes, des blagues d’initiés…

 

8/ Vous venez d’éditer « Mon cahier tarot ». J’ai bien l’impression que l’époque du tarot en tant qu’exclusif outil divinatoire et réservé aux seuls initiés est enfin révolue.

mon cahier tarotQuand Solar m’a proposé d’écrire « Mon Cahier Tarot » j’ai trouvé ça très amusant. D’abord parce que c’était iconoclaste : la novlangue girly « tendance » imposée par la ligne éditoriale allait complètement à l’encontre de l’idée qu’on ne peut parler du Tarot qu’avec révérence. Et je crois qu’il n’y a rien de pire que de se prendre au sérieux, surtout quand il s’agit de travail initiatique…

Aussi, les cahiers de cette collection sont vendus partout, notamment – m’a-t-on dit – sur les aires d’autoroute !! C’était donc l’occasion d’amener au grand public l’idée que le tarot peut être initiatique avant que divinatoire. A mon avis, le divinatoire pose problème parce qu’il implique de croire à quelque chose, tandis que l’initiatique fonctionne quelle que soit votre grille de lecture du monde. Donc il doit parler à tous. Qu’est-ce que le travail initiatique ? C’est l’étude du mystère. Quel mystère ? Celui qu’on est pour soi-même, il n’y en a pas d’autre. C’est de cela qu’on parle quand on dit « oh là là, celui-là c’est un initié » – c’est quelqu’un qui sait qui il est. Qui coïncide avec lui-même, qui est éveillé, aligné avec son Soi supérieur, sa Volonté, appelez ça comme vous voulez, selon la tradition qui vous plaît. Est-ce que le fait de réfléchir à qui on est doit être réservé à certains ? à une élite culturelle ? un club particulier ? une certaine lignée ? Argh. Le travail initiatique s’adresse par nature à tout le monde, puisqu’il concerne le fait d’être soi. Voilà pourquoi j’ai dit oui à un style aux antipodes de ma zone de confort… C’était aussi un défi personnel, parce que si on a compris certaines choses, on doit pouvoir les exprimer dans n’importe quelle langue, à n’importe quel niveau.

 

9/ Vos méthodes sont intéressantes puisqu’elles démontrent clairement que l’on peut interpréter un tarot dit de Marseille avec le système du Rider-Waite-Smith. Autrement dit, libre à chacun d’utiliser le jeu de cartes qui lui plaît et de l’interpréter avec le système qui lui convient.

Mais c’est ce qu’on a toujours fait ! Quand on lit les premières interprétations des cartes – en retard de plus de trois siècles sur l’apparition du jeu lui-même – et qu’on constate qu’elles se contredisent toutes, comment douter qu’il s’agit de la vision particulière de chaque auteur ? Quand on a fait des parties de scopa endiablées avec des cartes à enseignes italiennes (bâtons, coupes, épées, deniers, et le cavalier qui vaut 12 points), comment ne pas les reconnaître dans les mineurs du tarot de Marseille ? Quand on voit des jeux de tarot vendus 2€ dans les magasins de jouets, et les collégiens jouer au tarot avec, comment douter de la parenté entre ce jouet et le tarot que nous lisons, surtout quand les sources historiques prouvent que le jeu est antérieur à sa lecture ? Le tarot est un jeu de cartes normal auquel on applique un système de lecture artificiel. Mais ce n’est pas parce que ce système est artificiel, et postérieur, qu’il ne peut pas être intéressant. Pourquoi chercher un autre critère ? Et je ne vois pas pourquoi l’existence d’un système excluerait tous les autres. Dans La Voie du Tarot, Jodorowsky et Marianne Costa proposent une interprétation des arcanes mineurs qui marche très bien. Est-ce à dire que personne d’autre n’a le droit de le faire ? Et pourquoi tel auteur plutôt qu’un autre ? Moi, je préfère le système Rider-Waite-Smith parce qu’il me paraît plus concret, plus complet, mais c’est une conviction personnelle. Et aussi parce que je serais trop gênée de montrer à mes consultants des cartes qu’ils ne peuvent pas comprendre sans déjà connaître le tarot : j’aurais l’impression que ce serait leur signifier que c’est moi qui ai le savoir, pas eux, alors que ma démarche repose justement sur le contraire.

Ma conviction profonde est que le Tarot n’existe pas. C’est « quelque chose » dont quelqu’un a décidé un jour, arbitrairement, qu’on allait l’utiliser comme support pour construire un discours initiatique. Et c’était intéressant, parce que cela donnait un cadre et un prétexte pour développer une vraie réflexion – un cadre, c’est quelque chose qui empêche de partir n’importe comment, c’est déjà bien. A partir de là, tous les auteurs en sont allés de leur réflexion à eux. Et c’est pour cela que les lecteurs débutants peuvent se retrouver perdus, parce que les interprétations peuvent varier sauvagement d’un livre à l’autre. Mais cela ne signifie pas qu’il y en a une vraie et d’autres fausses. Entre Monet et Picasso, on ne se demande pas lequel a le plus « objectivement raison », ça n’a pas de sens. Par contre, on peut dire lequel nous parle le plus, subjectivement, lequel nous inspire.

Pour moi, quand les occultistes ont imposé au Tarot d’être un objet « initiatique », ils ont décidé qu’il parlerait de la question « Qui suis-je », et c’est devenu le postulat de base. A cette question, chaque auteur ne peut donner bien sûr que sa propre réponse. C’est pour cela que les livres inspirent (quand on lit le « qui suis-je » d’un autre, cela titille, et donne envie d’y aller du sien propre). Mais cela ne sert à rien non plus de les prendre comme parole d’Evangile, parce que le « qui suis-je » de l’un ne fonctionnera pas pour l’autre.

Ce que j’attends d’un livre sur le Tarot, c’est d’une part qu’il me montre un système cohérent, solide, et qui m’apporte des choses que je ne savais pas ; d’autre part, que l’auteur ne prétende pas qu’il n’y a qu’une seule vérité et que c’est lui qui l’a. Déjà parce qu’historiquement c’est absurde. Ensuite, parce que le Tarot est un prétexte pour penser par soi-même, et qu’il serait injuste de dire « moi j’ai le droit de penser par moi-même, mais pas les autres, qui doivent se soumettre à ma pensée ». Sur quel critère se baserait-on pour affirmer que tel jeu est plus « correct » que tel autre, que tel système de lecture est plus « vrai » ? Il me paraît quand même assez dramatique de confondre vérité subjective et objective.

En contrepartie, chaque « praticien » a son tarot. Je pense très sincèrement qu’il ne sert à rien d’essayer de tirer le tarot de Jodorowsky quand on ne s’appelle pas Jorodowsky. Chaque lecteur a à se faire son propre tarot, c’est un travail personnel. Pour cela, il peut s’inspirer des auteurs qui l’ont déjà fait pour eux-mêmes : cela permet de gagner du temps et de penser plus loin que si on était seul. Mais apprendre par cœur n’est pas faire le travail. Il faut y mettre du sien.

Cela ne veut pas non plus dire qu’on puisse dire n’importe quoi et que toutes les lectures se valent. Certaines interprétations sont plus profondes, plus intelligentes, plus cohérentes, plus solides, plus utiles que d’autres. Je pense que c’est le seul critère de jugement qui vaille. Ensuite, nous partons quand même d’un objet dont la structure est très carrée, 22 majeurs et 56 mineurs, toujours la même, quoi qu’il arrive, quoi qu’on raconte dessus. Tous les discours d’interprétation auront donc la même structure de base, mais jamais les mêmes nuances. Ce qui va bien avec l’objet de notre étude, puisque le chemin initiatique de l’un ne sera pas celui de l’autre : nous partageons les grandes lignes de la vie, pas les nuances individuelles.

 

10/ Maintenant, si l’on apprend par cœur des significations pour les cartes, qu’en est-il de l’intuition ? Est-elle la cerise sur le gâteau que l’on reçoit en cadeau ou se travaille-t-elle comme tout autre ressource ?

En effet, le par cœur pose problème. Si on part dans ce que l’on a appris, on oublie de regarder les cartes qu’on a devant soi. Et si on s’appuie sur ce qu’on sait, on risque de rater ce qu’on ne savait pas déjà. Alors que si on tire les cartes au hasard au lieu de les choisir, c’est justement pour apprendre autre chose que ce que l’on sait déjà…

Je trouve qu’un des moments où on voit le mieux l’intuition fonctionner, c’est quand il nous vient une expression dont il nous paraît tout à coup évident qu’elle résume parfaitement la carte dans son contexte. Par exemple, face à un 6 de Coupes (les deux enfants sur le Rider-Waite) sorti renversé, quelqu’un s’est un jour exclamé : « Dis donc, ce n’est pas un enfant de chœur celui-là !! ». Tout le monde a rigolé, parce qu’en effet ça marchait à la fois avec la signification « traditionnelle » de la carte (innocence, naïveté etc), avec le contexte et avec l’emplacement (la carte devait représenter le caractère d’une personne qui n’était en effet pas née de la dernière pluie). L’intuition, c’est la faculté qui permet de trouver le lien unique entre toutes ces choses-là, l’endroit inouï où tout se recoupe. Or ça, c’est la définition de la blague – ou du mot d’esprit, comme l’appelle Freud.

Il faut quand même bien connaître le système des cartes, à mon avis, notamment parce qu’on a plus confiance en soi quand on sait pouvoir se reposer sur quelque chose de solide. Mais pour que l’intuition fonctionne, il faut dépasser le par cœur. Et pour cela, je crois qu’il suffit juste de s’autoriser la légèreté. Arrêtons de subir l’idée que le Tarot va forcément nous sortir des messages pompeux ou d’une profondeur spirituelle incommensurable. Arrêtons aussi de nous demander si on fait bien « correct » ou pas. C’est cette pression-là qui tue l’intuition. La vraie justesse vient de la légèreté : c’est quand il s’abandonne avec plaisir que l’archer met dans le mille, quand il est détendu, mieux en tout cas que quand il est complètement crispé. Je crois que l’intuition se libère quand on comprend que c’est le même « muscle » que celui des blagues.

 

11/ Certains perçoivent plutôt le Rider-Waite-Smith comme un oracle. Il n’en reste pas moins un tarot à part entière, mais ne serait-ce pas là un avantage de pouvoir aussi servir d’oracle ?

Pour moi, un oracle serait plutôt tout jeu qui n’obéit pas à la structure rigide qui définit un tarot (78 cartes dont 22 majeurs, 40 points, 16 cour). Donc moi je ne l’appellerais pas oracle, mais c’est juste une question de définition. Ou si on considère qu’un oracle, c’est un jeu qu’on fait parler au futur… personne n’interdit de poser des questions au futur au RWS. D’ailleurs, les questions au futur n’interdisent pas d’éclairer des dynamiques présentes…

 

12/ Finalement, ne pourrait-on pas trouver de compromis entre la diabolisation systématique de la divination et la nouvelle vague des tirages des « énergies » ? Je ne peux croire que tout devin soit forcément un arnaqueur sans scrupules et que les taropsycholoques soient, de facto, plus légitimes et honnêtes dans leur démarche ; il y a certainement des diseurs de bonne aventure qui font preuve de bon sens et d’autres qui, même sans le vouloir, nous enferment dans des « énergies » qu’il faudrait subir, qui plus est avec dates précises, d’une semaine à l’autre…

Je ne sais pas pour les « énergies », j’ai l’habitude de rencontrer la distinction « tarot divinatoire / tarot psychologique ». Que ce soit en France ou aux États-Unis d’ailleurs, où beaucoup d’auteurs commencent par un « disclaimer » pour signifier qu’ils ne font pas de divination. Mais en effet, on m’a rapporté de nombreux exemples de tirages « psychologiques » enfermants, voire pire ; on m’a aussi raconté des paroles très justes de voyants qui avaient permis à leur consultant de surmonter une problématique importante.

Moi, la divination ne me parle pas, parce qu’elle demande de s’en remettre à des croyances qui ne font pas partie de ma grille de lecture. Mon socle, c’est la psychologie. Mais bien évidemment, je pense que les choses sont plus complexes que « mon équipe a raison et l’autre a tort ». Nous ne sommes pas en train de regarder un match de football, nous recevons de vraies personnes, avec de vrais questionnements, dans des situations qui ont de vrais enjeux, et les choses sont toujours plus compliquées que ce qu’on pense.

Dans les vestiaires de l’équipe psychologique, on entend souvent que si votre consultant pose une question au futur, la première chose à faire, c’est de reformuler. On ne demande pas « Est-ce que mon ex va revenir », ça ne se fait pas. Par contre, « De quoi ai-je besoin pour m’épanouir au mieux dans une relation sentimentale, et comment faire pour l’obtenir », c’est beaucoup mieux. L’idée, c’est que si vous posez une question au futur, c’est que vous attendez une réponse au futur (déjà, ça ne me paraît pas si évident…), donc que vous êtes dans une position passive, où vous chercheriez à vous soumettre à un « destin ». Il reviendrait alors au tarologue de vous remettre dans le « droit chemin » en vous faisant prendre conscience que la façon même dont vous posez la question vous bloque, et que ce serait mieux de prendre une position active dès maintenant. Le tout, avec la posture bienveillante de celui qui est vachement convaincu de savoir mieux que l’autre ce qui est bon pour lui.

La position divinatoire ne me parle pas, mais je crois aussi que que si on accueille le consultant en disant « OK, ta question est fausse », ça pose un certain problème. Aussi, dans les tirages de tarot « psychologique », on est rarement au-dessus du fait de mettre une carte d’issue, parce qu’on veut quand même savoir où tout ça va nous mener. On s’en sort en expliquant que ce n’est pas de la divination, parce que si vous allez dans le mur là maintenant, il n’y a pas besoin d’être un grand voyant pour voir un avenir marqué par une collision, donc on vous conseille de modifier la course. Mais au final, qu’est-ce qui différencie ça d’un tirage divinatoire qui aurait dit la même chose ?

La seule chose que je verrais, c’est que quand on pose une question purement divinatoire au tarot, il s’amuse à taper « plus loin ». Il va donner la réponse, tout en la considérant comme complètement secondaire par rapport à la problématique présente, qui l’intéresse vraiment davantage. Ce matin une étudiante travaillait un tirage de choix. Sa question : entre prendre un crédit et vendre mon bien, qu’est-ce qui me fera gagner le plus d’argent ? La réponse paraît évidente, mais elle posait la question, donc il y avait quelque chose. Nous avons alors demandé aux cartes ce que chacun des choix lui apporterait, d’abord financièrement, puis émotionnellement. Financièrement, le choix du crédit allait lui amener des « perspectives » (2 de Bâtons, système Rider-Waite), et émotionnellement, une tranquillité qu’elle a perçue comme une inertie totale (4 de Coupes). La vente, qui allait évidemment ramener une grosse somme d’un coup, allait lui apporter de quoi « jouir de la vie » (le Soleil), mais émotionnellement… le 8 d’Epées, « l’enfermement dans des croyances ». Cette carte l’a fortement interpellée, et le dialogue nous a permis de comprendre : elle avait toujours eu la croyance que « jouir de la vie » n’était pas pour elle, ce qui l’avait poussée jusqu’ici à dilapider l’argent qu’elle touchait sans en profiter… et cette rentrée-là risquait de réveiller ce vieux démon.

Voilà la raison pour laquelle elle posait la question. Elle ne savait pas pourquoi elle hésitait à vendre, mais avec ce tirage, c’était devenu clair. Il allait donc lui être beaucoup plus facile d’adresser le problème – bien plus que si la divination lui avait juste dit « Vends, tu auras de l’argent ». Surtout que vendre sans conscience l’aurait envoyée tête la première dans ses problématiques ! Alors que sa question, c’était cela, « est-ce que je dois vendre » ! L’intérêt du tarot, c’est qu’il s’arrange pour répondre à ce qu’il y avait derrière la question.

Si on ne tombe pas dans l’écueil de confondre la lettre de la question avec ce qui est vraiment demandé, alors on obtient les bonnes réponses. On peut prendre une question divinatoire et lui faire un tirage psychologique, ça marche. Il n’y a que de bonnes questions, et la vieille opposition « divination versus psychologique » me paraît fondée sur une erreur. Peut-être qu’on n’assume pas, en tant que tarologues, de se retrouver « mis dans le même sac » que la voyance et la bonne aventure, parce que ça ne ferait pas « sérieux ». Mais entre nous, si on cherchait avant tout à projeter une image de sérieux, on ferait peut-être autre chose…