Ce métier me donne la chance de rencontrer des points de vue très différents. Cela fait évoluer la manière dont j’appréhende les choses, notamment sur une question polémique, la distinction entre tarot psychologique et divination. Quand on y regarde d’un peu plus près, est-elle aussi solide qu’on le croit ?
Les positions actuelles tournent autour du malentendu entre deux structures de pensée incompatibles et qui ne s’entendent pas, ce qui rend le dialogue difficile. Votre point de vue sera précieux puisque cet article s’inscrit dans une réflexion en évolution.
L’opposition fondamentale
En France, la distinction entre « tarot divinatoire » et « tarot psychologique » est explicite parce que Jodorowsky a popularisé cette dernière appellation. Dans le monde anglo-saxon, il n’y a pas d’appellation particulière mais les deux mêmes attitudes s’opposent aussi fermement et constamment. Les partisans de la méthode « psychologique » s’appuient sur un argument solide : Si le consultant pose une question divinatoire, la réponse l’enfermera dans une position passive qui l’empêchera de toute manière d’obtenir ses désirs. Vais-je rencontrer un homme ? Soit les cartes disent que oui, dans ce cas il n’y a pas de raison de faire autre chose qu’attendre que ça vienne ; soit elles disent non, donc il n’y a de toute façon rien à faire. Dans les deux cas, difficile de rencontrer qui que ce soit !
Il y a par conséquent une distinction très précise entre ceux qui répondent aux questions divinatoires, apparemment sans considération pour le danger impliqué pour le consultant, et ceux qui utilisent le tarot comme outil de développement personnel, au présent, dans le but explicite de rendre au consultant sa faculté d’agir en toute liberté en l’amenant à comprendre clairement les raisons inconscientes de sa situation. Il va sans dire que les seconds pensent que les premiers sont tous des arnaqueurs, et que les premiers pensent que les seconds sont d’inutiles coupeurs de cheveux en quatre.
Le résultat, du point de vue des seconds : des méthodes qui marchent très bien quand le client a bien « fait ses devoirs » et vient dans une optique psychologique, mais d’énormes malentendus quand ce n’est pas le cas.
Le malentendu avec la divination
En substance, le dialogue sera le suivant :
– Vais-je rencontrer un homme cet été ?
– OK, alors nous allons faire le tirage suivant : 1) ton passé, 2) où tu en es aujourd’hui, 3) la vraie raison pour laquelle tu cherches un homme, 4) ton problème, 5) la manière dont tu peux résoudre ton problème,
– …
– … et 6), ce vers quoi tu vas, ou « ce à quoi tu peux t’attendre pour cet été ».
– On ne peut pas aller directement à la 6ème carte ? Parce que les autres ne répondent pas à ma question. Ma question c’est ce qui va se passer cet été, le passé je m’en fous.
– Oui mais le Tarot, c’est un outil de réflexion qui pose les dynamiques inconscientes sur la table pour te permettre de travailler dessus.
– Oui mais ma question à moi elle est plus simple que ça.
– Oui mais je ne fais pas de divination parce que ça enferme.
– Pourquoi tires-tu la carte 6 alors, puisqu’elle répond à ma question.
– Aaah mais ce n’est pas de la divination c’est de la projection.
– MAIS ELLE DIT SI JE VAIS RENCONTRER UN HOMME OUI OU NON ??
Donc, un véritable dialogue de sourds. Le tarologue pourra essayer de faire un tirage psychologique quand même ; ça ne marche pas, évidemment, parce qu’aider quelqu’un « malgré lui » c’est essayer de le soumettre. Même si on essaie de le rendre plus libre. Bref, les deux participants sortent frustrés d’un tirage inutile.
Or, si la question a été formulée au futur, c’est peut-être bien pour une raison qu’il convient d’examiner.
Deux façons de penser incompatibles
Le malentendu est dû à une seule chose : aucun des deux participants n’arrive à comprendre pourquoi l’autre ne pense pas comme lui. Celui qui demande s’il va déménager, par exemple, ne comprend absolument pas pourquoi son tarologue insiste pour faire intervenir le passé dans l’équation alors que ça n’a rien à voir. Le tarologue, lui, est énervé de voir quelqu’un rester dans une position « passive » alors qu’il « sait » que tout ce qui compte pour être libre, c’est la position « active ».
On peut commencer la réflexion par un constat : certains pensent que l’on est « agi » par la destinée, et qu’on n’y peut pas grand’chose, d’autres pensent que l’on crée sa propre destinée, et qu’on y peut tout.
On se trouve forcément d’un côté ou de l’autre (le psychanalyste Irvin Yalom parle de « locus de contrôle externe » et « interne » pour signifier le fait de penser que la destinée se décide en dehors de soi ou pas).
Forcément, on pense aussi que ceux qui sont de l’autre côté n’ont rien compris. Les premiers iront chercher de la divination pour savoir ce que la destinée leur réserve ; les seconds s’intéresseront au tarot psychologique pour savoir comment ils peuvent se créer la meilleure destinée. Ces derniers ont-ils raison ? Peu importe ! Pour la question qui nous intéresse, cela ne changera absolument rien au fait que leurs beaux discours sur la liberté seront toujours lettre morte pour ceux qui sont de l’autre bord.
Une distinction de surface
Il s’agit de ce qu’on peut entendre ou pas, donc d’une question de langage. En allant un peu plus loin, on peut trouver qu’il s’agit d’une distinction de surface, parce que la question fondamentale n’est pas si différente.
Quand quelqu’un demande « Est-ce que je vais déménager », nombreux sont ceux qui ont envie de répondre « Enfin, ça dépend de ce que tu veux, si tu veux déménager déménage, si tu ne veux pas déménager ne déménage pas !!! ». Mais c’est complètement passer à côté. Si le consultant pose la question, c’est que ce n’est pas évident. Inutile de s’enfermer dans un solipsisme méprisant.
S’il demande « Vais-je déménager », c’est peut-être qu’il ne sait pas s’il veut. L’équivalent dans le langage de l’autre bord sera alors « Comment puis-je savoir si je veux déménager ? ». Une formulation divinatoire, une formulation psychologique – un même tirage.
Ou alors, il veut déménager mais il a besoin de s’autoriser à prendre les mesures nécessaires. En demandant un tirage divinatoire, il est donc en train de faire ce qu’il a à faire pour obtenir la confiance en l’avenir dont il a besoin.
La spécificité du Tarot
Quel que soit le cas, le Tarot répondra en fonction de ce pour quoi il est conçu.
Le Tarot contient un système philosophique précis. Les arcanes majeures sont un chemin de réalisation de soi ou d’éveil, comme on a envie de l’appeler ; le but est d’augmenter son niveau de conscience pour sortir des réflexes mécaniques qui font de nous des robots déterminés par leur programmation. Donc, c’est tout sauf un outil neutre – contrairement aux coquillages que l’on jette sur la table, qui se moquent bien de savoir si on se trouvera plus libre ou non après leur réponse. Quelle que soit la question qu’on lui pose, donc, si on le lit bien, si on l’utilise dans le sens de ce pour quoi il a été conçu, le Tarot doit répondre de manière constructive, dans le sens de la liberté individuelle.
A quelqu’un qui demande « Vais-je déménager » il ne sera donc jamais répondu « oui » ou « non » parce que les jeux sont vendus avec plus de deux cartes, mais quelque chose du type « voilà ce dont tu as besoin (tu en penses quoi ?) – voilà par ailleurs ce qui va t’arriver, c’est l’ancre qui permet le dialogue – et voilà un conseil pour l’obtenir, ou l’éviter si ça ne te plaît pas ».
Une consultante demandait si elle devait attendre que son ex revienne. Le tarot a commencé par répondre que cet homme était focalisé aujourd’hui sur tout autre chose ; donc non, on ne lui voyait pas vraiment de raison de revenir. Elle s’est par conséquent retrouvée libre de diriger le tirage vers d’autres questions jusqu’à ce que le tarot lui indique la manière dont elle allait pouvoir (s’autoriser à) rencontrer un autre homme qui corresponde mieux à ce qu’elle désirait, elle. Or, cette question ne pouvait pas se poser tant qu’elle se sentait sous l’épée de Damoclès du retour de son ex. Il fallait commencer par une réponse divinatoire pour que la consultante se sente en droit de se la poser.
Difficile de lui reprocher de s’enfermer dans une position passive, puisque cette consultante a activement et habilement fait en sorte que le Tarot lui indique la voie de la libération en lui parlant de la seule manière efficace pour elle.
Ce n’est donc pas parce que « consultant divinatoire » et « tarologue psychologique » ont deux manières bien différentes de penser, que celui qui a raison est forcément celui qu’on pense en tant qu’on est du bord « psychologique ». Ce qui compte, c’est que le tirage soit utile pour le consultant, toujours.
Besoin d’une autre distinction
Finalement, on pourrait dépasser la distinction traditionnelle entre tarot psychologique et tarot divinatoire. On pourrait dire que le tarot est un outil qui peut répondre aux questions divinatoires de façon libératrice, à la différence d’autres techniques.
La distinction devient donc celle entre un bon lecteur, qui répond de façon constructive pour le consultant quelle que soit la question, et un mauvais lecteur, qui enferme le consultant dans des prédictions gravées dans le marbre, ou utilise sa fascination pour l’avenir pour l’arnaquer.
Un bon tirage répondra donc à la question que le consultant est venu poser, même si elle est divinatoire. Mais à la fin du tirage, on se rend compte que cette question était en réalité un prétexte : ce qu’il retiendra, c’est le fait que le Tarot lui ait appris ce qu’il voulait en réalité et comment l’obtenir. En plus, le côté magique a chargé le tirage symboliquement, ce qui donne du poids à la parole libératrice – on prend la magie au sérieux, beaucoup plus qu’un simple conseil d’ami entre deux portes. Même si la réponse est au final identique.
Cet article m’a été envoyé par un ami tarologue avec qui j’échange régulièrement sur la façon de tirer, la position et l’éthique du tarologue. Par transmission non volontaire, j’utilise « naturellement » les oracles qui induisent une démarche plus divinatoire. A son contact, je me suis mise au Tarot de Marseille, façon Jodorowsky, et le débat est récurent entre méthode divinatoire et méthode psychologique. Votre article éclaire très bien cette dichotomie qui, pour ma part, me semble assez complémentaire, vu que la divination peut ouvrir la boite à Pandore, en libérant la parole…et l’inconscient. Renforcé ensuite par une « action » plus psychologique qui peut répondre à la question posée: « Comment faire pour atteindre mon (nouvel) objectif? » La divination peut aussi apporter un discours moins consensuel, puisqu’il est hors projection. Reste, comme vous l’expliquez si bien, à ne pas enfermer le consultant par notre lecture et laisser le jeu ouvert… Merci à vous et merci à lui pour le partage!
Emmanuelle, j’ai découvert votre site aujourd’hui, je ne sais même pas comment. Il fallait sans doute que je sois prête… Quelle richesse, quelle générosité de votre part,… Je suis ravie de débuter cette aventure avec vous !
Article magnifique !!!! Merci Emmanuelle !!!
J’ai hâte de vous revoir Pour un atelier sur les tirages