Première difficulté quand on aborde le Tarot : tous les auteurs ne donnent pas les mêmes significations aux cartes. Problème évident : qui a raison ? Quelle signification retenir pour l’appliquer dans nos tirages personnels ? Difficile de choisir, surtout qu’ils ont tous l’air de savoir de quoi ils parlent. Mais si on veut se faire un Tarot qui marche, il faut s’y prendre autrement.
Les significations des majeures sont en général assez proches, mais cela n’empêche pas les écarts dans les détails. Pour les mineures, c’est encore pire à cause de l’abstraction du Marseille qui permettrait presque d’y voir ce qu’on veut. Si on tire un 2 de Deniers, faut-il suivre Jodorowsky et dire au consultant qu’il « rencontre le lieu d’une spiritualité dans la matière » (quoi que ça puisse vouloir dire) ou juste lui conseiller de faire attention à bien joindre les deux bouts (une des facettes du Waite) ? Nous voilà bien embêtés. Il va falloir chercher de quoi ancrer notre raisonnement pour pouvoir avancer.
Si on considère que ces contradictions sont un problème, c’est qu’on postule qu’il devrait y avoir une signification « authentique », la « vraie », objective, et qu’on devrait pouvoir la trouver quelque part malgré les déformations introduites par les auteurs. Or, ce n’est pas comme cela que ça marche en Tarot. Historiquement et « authentiquement », le Tarot n’était rien d’autre qu’un jeu de cartes inventé pour jouer aux cartes (voir les travaux de Thierry Depaulis), et ses cartes ne signifiaient rien d’autre qu’elles-mêmes. Force, Justice et Tempérance sont des vertus cardinales, le Pape et l’Empereur sont des gens importants, etc. L’essor de l’occultisme au XIXe siècle en est venu à lui ajouter quelque chose de beaucoup plus intéressant : on y a « plaqué » tout un système de pensée inspiré par les enseignements orientaux, qui tournent autour de la question de l’éveil de la conscience.
Nous passons en général notre vie dans un état de « sommeil », où nous ignorons ce que nous voulons et ce que nous sommes ; l’ « éveil », c’est en prendre conscience. Ma « Volonté » essentielle, c’est ce qui détermine le sens de ma vie ; le sens de ma vie n’étant pas le même que celui du voisin, ce que je « Veux » authentiquement, c’est donc ce qui me caractérise en propre. La question de l’éveil de la conscience n’est donc rien d’autre que celle de ce que c’est qu’être Soi, la question de savoir quel est le sens de ma vie en tant que c’est la mienne et pas celle de quelqu’un d’autre, question fondamentale et la plus difficile qui puisse se poser à nous – ce que l’appellation « arcanes majeurs » due à Eliphas Lévi ne fait que traduire exactement.
Depuis, le chemin des cartes du Tarot représente une façon de résoudre la question « Qui suis-je ». On commence par ne rien savoir sur soi, on part à l’aventure comme un Mat ignorant, et étape après étape, on en finit par arriver à la personnalité réalisée, l’or philosophal de l’arcane XIX, voire à la réalisation totale et glorieuse du XXI. Seulement, si ces cartes parlent de ce que c’est qu’être soi, même si la structure est toujours à peu près la même, la réponse sera forcément différente selon le Soi qui parle. C’est la raison pour laquelle il ne faut jamais apprendre par cœur un livre de Tarot : vous essaieriez de parler de vous avec les mots d’un autre, or cela vous garantit de passer à côté.
Le Tarot est avant tout un outil de réflexion, un prétexte qui doit amener à réfléchir à sa situation d’une manière que l’on n’avait pas du tout prévue. Lorsque nous nous demandons laquelle est « la » vraie interprétation, celle que nous devrions appliquer dans nos tirages personnels, nous nous trompons forcément, parce que si nous nous posons la question, c’est que nous sommes en train de chercher une règle qu’on pourrait appliquer à tous les coups – c’est-à-dire sans réfléchir, ce qui ne peut pas marcher pour un support de réflexion.
Pour avoir un Tarot qui parle vraiment, chacun a donc à mener sa propre réflexion sur la question de « ce que c’est qu’être soi ». L’intérêt de ce support, c’est que ses arcanes fournissent déjà un schéma à peu près cohérent, qui évite de partir dans l’espace et que la tradition lie à des réflexions profondes. Les livres font gagner un temps précieux en montrant comment poser une réflexion solide sur ce système, et en donnant des idées qu’on aurait mis plus de temps à trouver seul. Mais en aucun cas un auteur ne peut avoir plus « raison » que vous lorsqu’il s’agit de la question de votre propre existence : les livres doivent inspirer, pas imposer.
Commencez par poser toutes les cartes sur la table. Jour après jour, essayez d’y trouver une logique, un système à peu près cohérent, en restant fidèle à la question de l’éveil de la conscience autour de laquelle tout tourne toujours. Vous obtiendrez quelque chose qui devrait avoir à peu près la même structure que la tradition (vous ne verrez pas le Pendu aller très loin très vite sauf à faire preuve de beaucoup de mauvaise foi), mais sans détails. Relisez ensuite les livres à la lumière de cette perception personnelle. Cherchez-y ce qui vous parle et ce qui ne vous parle pas ; ne conservez que les idées où vous vous êtes reconnu, oubliez le reste. Vous trouverez alors qu’ils ne se contredisent plus, puisqu’ils ont en commun le plus intéressant : ce qui nourrit votre vision.
C’est ainsi que vous obtiendrez des cartes qui parlent clairement et spontanément, loin de ces moments où l’on brise le tirage pour réciter un cours derrière lequel on se cache. Si vous parlez en votre nom propre, vous voilà comme l’Étoile à la place qui est la vôtre. Et comme pour elle, tout se met à couler naturellement : vous donnez des deux mains, que ce soit à vous-même ou à ceux qui vous entourent.
Merci Emmanuelle. C’est vrai que dans les innombrables significations des cartes, certaines nous parlent et d’autres non ou moins. Retenir les définitions qui entrent dans notre ressenti est la solution la plus logique et la plus constructive.
Comme dit Anna, il y a tant de contradictions qu’il est difficile de s’y retrouver. Je me pose souvent une question, parmi tant d’autres… :)), D’où viennent les définitions des cartes, quelle (s) origine (s) ont-elles (ces définitions) Comment en est-on arrivé à donner une « personnalité » et des mots clés à chacun des 78 Arcanes? Il y a eu divers courants historiques, ésotériques etc, qui sont intervenus, mais au commencement? Bien à vous.
Nelly
Au commencement le tarot est un jeu de cartes sans signification. En 1781 Court de Gébelin introduit l’idée qu’on pourrait y voir des significations ; les occultistes français puis anglais travaillent ensuite à partir de là, en faisant le lien entre ce qui est représenté sur la carte (déjà une bonne ancre pour une « personnalité », car le Diable fait plus peur que l’Impératrice par exemple) et les questions de l’éveil. Je pense qu’il ne faut pas chercher l’intérêt du Tarot dans une origine mystérieuse, mais bien dans les grandes constructions postérieures dont il a été le prétexte.
Merci Emmanuelle.
Finalement, le Tarot « parle » le langage de la personne qui s’en sert, étayé par les études des pionniers, et des connaissances psychanalytiques acquises ensuite. Ce que j »ai apprécié dans votre livre, c’est justement cela, cette impression d’y voir une interprétation nouvelle, rafraîchissante, qui libère la pensée. Je me méfie maintenant des « spécialistes » qui estiment qu’ils détiennent la vérité sur le tarot, et l’imposent, ce n’est pas votre cas :)) En fait, de vérités inébranlables, il n’y en a point ….La seule nature d’esprit certaine est celle qui habitait la (les) personne (s) ayant dessiné ces figures. Pour les Tarots récents, il est possible de le savoir à peu près, mais pour les anciens…surtout s’ils ne dessinaient que des jeux… :)) . Ceci devrait inciter à un peu d’humilité et de prudence dans les affirmations. Garder un mystère du Tarot est quand même séduisant, même un peu stimulant, mais le faire évoluer au fur et à mesure de nos connaissances permet d’avancer avec plus de lumière. L’Hermite tient peut être maintenant une torche électrique LED à la main…. Non, je préfère notre vieux monsieur avec sa lanterne.. ;))
Bien à vous
Nelly
Merci Emmanuelle pour cette ouverture. Il existe tant d’ouvrages que c’est parfois compliqué de faire le tri tant les propos peuvent être contradictoires. J’aime beaucoup l’idée de ne garder que ce qui « résonne » :-) et de travailler sur les complémentarités plutôt que les oppositions.