De temps en temps, je vous partage sur les réseaux et dans ma newsletter (à peu près mensuelle) des nouvelles de mes différents projets. Ce sont des projets de cœur, donc j’ai souvent envie de vous montrer l’avancement. Vous êtes nombreux à me faire une remarque : entre le moment où j’ai une super idée, et la sortie en librairie, il peut se passer entre un et deux ans. Pourquoi c’est si long ? Petit aperçu de ce qu’il se passe en coulisses !
Cette année, comme vous avez pu le constater, j’ai mis le paquet sur l’édition. Plusieurs raisons à cela :
- J’ai fait le choix d’abandonner l’auto-édition, beaucoup trop lourde financièrement et logistiquement. Gérer seule les envois prend énormément de temps, les frais de port de la Poste sont hallucinants, le tout pour une marge minuscule (car derrière, il y a l’achat du produit, les charges, les impôts, et la douane). Le coup de grâce a été le moment où j’ai dû payer double à cause d’un micmac administratif dont je n’ai pas su me sortir. Bref, malgré vos retours enthousiastes, ce n’était plus tenable, et je ne vous parle même pas de la cave pleine d’enveloppes et de cartons. Aujourd’hui, vous ne trouverez plus ici que la collection xvii et quelques fins de stocks, tout simplement parce qu’un collier c’est léger. J’ai eu de la chance car les produits autopubliés ont été repris par un éditeur, donc ils continueront à vivre.
- Grâce à mes travaux précédents, j’ai un réseau d’éditeurs qui sait que mon nom est une garantie de qualité (ce n’est pas moi qui le dis), donc en gros je peux proposer les projets que je veux. C’est vraiment grâce à vous, qui avez accueilli et relayé mes livres depuis Lire le Tarot avec le Rider-Waite ; mes nouveaux projets sont ma façon de vous remercier de ce soutien depuis des années.
- J’ai eu des idées vraiment cool (et je ne suis pas trop mauvaise pour les pitcher).
Alors, qu’est-ce qu’il se passe quand un projet commence ?
1. En amont
Ici, on est sur des projets de cœur, donc le critère, c’est la passion… pas la rentabilité. Donc, en gros, l’étude de marché, elle s’arrête à « Personne n’a jamais fait ça, c’est dingue ».
Oui, je sais.
En général, quand personne n’a jamais fait ça, c’est pour deux raisons : soit c’est une idée tellement géniale que personne ne l’a jamais eue avant, ce qui est rare, soit c’est vraiment beaucoup trop long et cher comme projet pour être raisonnable. C’est ce que j’ai appris avec le tarot de Marseille-Waite. Les majeures du tarot de Marseille sont clairement mieux que celles du Waite ! Les mineures illustrées sont clairement mieux que les mineures abstraites ! C’était dingue que personne n’ait jamais rassemblé les deux ! Bon, une fois que le projet a pris un an (à temps plein tous les jours) et coûté des milliers d’euros (payés par moi personnellement et pas par l’éditeur), je savais pourquoi. Ah oui, et les droits d’auteur, c’est 4%. (Achetez-le quand même, je suis fière d’avoir vraiment apporté quelque chose au monde du tarot avec ce jeu : je pense sincèrement qu’il n’y a pas mieux pour débuter, et de nombreux professionnels en ont fait leur deck officiel).
Aujourd’hui, je continue avec des projets de cœur comme celui-là, et aussi des commandes. Par exemple, on est venu me chercher pour le Tarot Interdit, parce qu’il fallait quelqu’un de bien structuré pour garantir que le jeu fonctionne même avec les modifications souhaitées. Mon Cahier Tarot est aussi une commande, parce que la collection My Life is Beautiful a l’air légère comme cela, mais chacun de leurs cahiers est écrit par un expert.
Les commandes sont signées assez vite, mais pour les projets de cœur, il faut approcher la bonne personne, pitcher le projet, attendre qu’il soit défendu en comité éditorial, etc, pour enfin signer le contrat, ce qui peut prendre déjà quelques mois. Juste un exemple : j’ai identifié le !!! seul !!! grand !!! roman classique à avoir le Tarot comme objet principal !!! Figurez-vous que personne ne l’avait jamais traduit en français ! Dingue, non ? Donc je l’ai fait : six mois de travail acharné (style littéraire poétique, allusif, plein de références cachées, donc texte extrêmement difficile, pour lequel il faut d’ailleurs des compétences en ésotérisme solides sinon la traduction est mauvaise ; relecture professionnelle payée de ma poche), pour… un an et demi de recherche d’éditeur (les éditeurs littéraires ont peur du tarot), et ça commence à bouger mais le contrat n’est pas finalisé, ce sera pour la rentrée. Et non, je n’ai pas voulu passer par Kindle, car c’est une œuvre littéraire majeure que je n’ai pas envie de noyer parmi les ebooks autopubliés par ChatGPT ; c’est vraiment un chef-d’œuvre oublié à ressusciter, ce qui pour moi passe par la librairie.
2. Une fois le contrat signé
Le roman, c’est une exception parce que j’ai fini le travail avant d’avoir un contrat, mais il me paraissait suffisamment important. Si c’est une commande, j’attends déjà le contrat, donc entre l’idée et la signature on peut avoir trois ou quatre mois. Ensuite, il faut… écrire le truc. Ce qui ne se fait pas tout seul. C’est difficile, c’est fatigant, et un livre c’est très très long. On compte globalement six mois intensifs pour un petit, un an pour un gros.
Mon problème, c’est que comme je suis sur des projets-passion, je peux aussi passer un temps fou à m’assurer que tout est parfait, que ça apporte vraiment quelque chose, que ça vaille la peine que vous passiez du temps dessus. Par exemple, le Minchiate, ça aurait clairement pu aller beaucoup plus vite si j’avais accepté de faire un peu de copier-collé au lieu de tout restaurer à la main (oui, tous les deniers et toutes les coupes sont TRÈS LÉGÈREMENT différents). C’est un peu frustrant de voir ensuite de petits influenceurs balancer en quinze jours un truc à moitié fait par ChatGPT mais qui se vend quand même pour très cher. Je n’ai qu’à faire des progrès en marketing.
Donc, il s’est déjà passé un an, un an et demi. Ensuite, le manuscrit est rendu à l’éditeur. Celui-ci va lancer:
- les corrections (on peut me demander de revoir tout un plan, de remanier tout un chapitre).
- la mise en page (idem, c’est à moi de faire attention aux détails, parce que c’est moi qui connais le mieux le livre)
- prendre du temps pour la couverture (je participe, parfois vraiment beaucoup comme pour le tarot Minchiate restauré, où j’ai fait exprès de créer un renvoi avec le livre d’Isabelle Nadolny, parce qu’une couverture ratée c’est la mort) et le discours commercial.
Ensuite, il faut envoyer le livre ou le jeu terminés à l’imprimeur. Là, on compte toujours six mois, incompressibles. Pourquoi ? Parce que l’imprimeur a un calendrier, et que mon produit doit, en gros, faire la queue pour que ce soit son tour, puis il faut ensuite le temps pour que les palettes soient livrées.
Enfin, l’éditeur lui-même a un calendrier. Il ne peut pas sortir plein de livres en même temps, mais doit les échelonner, parce que les libraires, de leur côté, ne peuvent acheter que quelques nouveautés à la fois (la place sur les tables n’étant pas extensible). En même temps, il va chercher à ce que la sortie ne soit pas trop mal placée (juste après Noël, c’est nul). Par exemple, l’Oracle d’Enquête aurait dû sortir l’an dernier chez 404, mais il a finalement été repoussé à octobre 2024 parce que cela permettait d’avoir une meilleure date.
3. La mise en vente
En général, j’ai au moins un exemplaire de test à vous montrer sur les réseaux (@lesmotsclefs) environ un mois avant, et je reçois entre dix et vingt exemplaires d’auteur (je compte là-dessus pour le Tarot Festival cette année). On ouvre les précommandes, ce qui est important, parce qu’en précommandant un objet, vous envoyez le message que cet objet est attendu. Cela a donc un impact direct sur les commandes des libraires, qui doivent choisir les livres et jeux qu’ils mettront sur leurs tables parmi le grand nombre de nouvelles sorties constamment. Or, un produit qui n’est pas sur la table, le client va avoir du mal à le voir.
Normalement, la plus grosse partie des ventes d’un livre se fait à la mise en rayon, c’est-à-dire juste après sa sortie, car il disparaît après. Moi, j’ai beaucoup de chance, car mes produits résistent très bien au turnover. Vous avez tout de suite mis Lire le Tarot avec le Rider-Waite en position de référence, donc les ventes n’ont pas baissé juste après la sortie comme elles le font pour un livre normal ; on trouve encore le tarot de Marseille-Waite en rayon après quatre ans alors qu’un tarot normal peut disparaître définitivement au bout de quinze jours. Merci à vous, c’est grâce à votre soutien que les éditeurs acceptent aujourd’hui mes autres projets de cœur.
4. L’après
Avec tout ça, vous comprenez pourquoi il peut se passer entre un et deux ans avant une sortie. Pour le Tarot Minchiate Restauré, cela fait même plus que deux ans. Je vous avais dévoilé le premier prototype il y a deux Tarots Festivals, et vous l’attendez depuis ce moment-là. Ce qui est difficile pour moi, c’est aussi que pendant les six mois incompressibles où j’ai fini mon travail et où il faut attendre que le livre passe par les circuits de l’imprimeur et des commerciaux, je passe à un autre projet. Donc, j’ai envie de vous parler de cette nouvelle idée-là, et quand l’autre est enfin prêt à sortir, moi je suis déjà sur autre chose. Heureusement, je peux vous dire que je ne me lasse pas de vos retours, sur les réseaux ou dans la vraie vie, comme dans les rencontres en librairie. Au dernier Tarot Festival, une tarologue professionnelle m’a fièrement montré un Marseille-Waite qui avait travaillé tous les jours, à être battu dix fois par jour, pendant quatre ans : il avait acquis une patine magnifique !
Si vous voulez continuer à soutenir ces projets après la sortie, ce qui fait aussi la vraie différence, ce sont les commentaires Amazon. Vous n’avez pas besoin d’avoir acheté votre exemplaire sur Amazon pour cela : il suffit de le prendre en photo. La raison, c’est que quand je démarche un éditeur pour un nouveau projet, il va d’abord aller regarder vos commentaires. Donc, si vous voulez encore d’autres jeux originaux… il vous suffit de prendre dix secondes pour écrire que vous aimez bien.
Voici le calendrier des prochaines sorties :
- Coffret 78 tirages de tarot, Animae, 18 septembre
- Le Tarot de Marseille (fac-similé du tarot de Nicolas Conver, avec un livret plutôt pas mal), Animae, 18 septembre
- Le Tarot Minchiate Restauré, Trajectoire, 8 octobre
- L’Oracle d’Enquête, 404, 10 octobre.
Et si vous avez une envie particulière… un jeu dont vous rêvez, un livre que vous adoreriez pouvoir lire… venez m’en parler ?
Merci Emmanuelle de nous dévoiler les coulisses du métier, dur, ingrat parfois mais ô combien passionnant !
Et surtout merci pour toutes les belles choses que tu nous proposes, l’énergie que tu mets dans tes projets originaux, avec le souci d’apporter un gros « quelque chose en plus ».
Longue vie au Mots Clefs !