Quand on le voit pour la première fois, le dessin du Rider-Waite surprend : c’est une ligne claire et fine, avec des à-plats de couleur qui le font plutôt ressembler aux bandes dessinées de nos parents. Il représente des situations censées nous concerner sans le moindre souci de réalisme, et il ignore complètement la nuance : le dessin est plat, et on peut en être déçu.
Dans The Compleat Psychic, Ruth Brown remet cette production dans le contexte de l’époque, en l’expliquant par l’influence de l’art japonais.
Pour ceux qui lisent l’anglais, ce très bon livre est téléchargeable gratuitement ici (faire la recherche avec Ctrl-F) ; sinon, voici un résumé du passage en question. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’étalon en matière de représentation picturale restait l’art de la Renaissance italienne ; institutionnalisé, codifié, il avait fini par donner lieu à un académisme qui s’essoufflait. Or, c’est à ce moment-là que des oeuvres d’art japonais arrivèrent en Occident. Ce fut l’occasion de découvrir une autre pensée. Nulle emphase, ni splendeurs, mais au contraire, un éloge de la simplicité, de la suggestion, un travail sur l’évanescence et les impressions fugitives ; des lignes et des formes épurées autour de couleurs vives au fort contraste ; des figures impersonnelles, indéterminées, et non ancrées dans un moment précis du temps. L’intérêt de cet art, perçu dans les céramiques, les tissus, et surtout les estampes réalisées avec des gravures sur bois, c’est qu’il vise à stimuler l’imagination au maximum ; or, un jeu de tarot qui « parle », c’est un jeu qui nous aide à « ouvrir les vannes » des associations et des perceptions.
C’est ainsi, continue Ruth Brown, qu’on retrouve l’influence de maîtres de l’estampe comme Utagawa Hiroshige ou Katsushika Hokusai un peu partout dans notre jeu :
Les montagnes coniques qui s’apparentent au mont Fuji, l’utilisation des lignes diagonales pour indiquer la pluie, les motifs de tissu qui semblent flotter au-dessus du vêtement plutôt que d’y être intégrés, le vent qui souffle dans les silhouettes noires des arbres, le fait d’indiquer les vagues par des lignes noires ondulées, jusqu’aux formes des bancs. Tout cela indique que la simplicité qu’on trouve dans le tarot de Smith n’est pas une marque d’incompétence, mais bien une technique dérivée de la vision japonaise. Et les couleurs « plates » de ce jeu ne trahissent ni manque d’expérience, ni défaut d’impression : elles servent à frapper le lecteur, et c’est un moyen efficace. Au lieu d’adoucir les images, elles leur donnent davantage d’impact (p. 137 du fichier epub, nous traduisons).
Il est peut-être un peu exagéré de chercher le mont Fuji dans toutes les montagnes stylisées de nos cartes, mais en tout cas, cette comparaison tombe bien en ce moment.
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