Le travail de la Golden Dawn a apporté une autre modification que la numérotation : les tarots de cette tradition changent le Cupidon de l’Amoureux en ange ou archange, cela pour introduire une cohérence supérieure dans l’ensemble du jeu (il peut y avoir progrès en Tarot comme partout ailleurs). Nous voilà avec quatre anges ou archanges en tout – qui sont-ils et quelle est leur signification symbolique ?
Dans l’ordre des cartes, nos quatre anges sont :
- Raphaël sur l’Amoureux (VI)
- Michel sur Tempérance (XIV)
- Uriel sur le Diable (XV)
- Gabriel sur le Jugement (XX).
Raphaël signifie « Dieu guérit » (de refa, « guérir » et El, « Dieu »). Les trois personnages de l’Amoureux représentent les trois parties de notre être : la conscience (Adam), le subconscient (Eve), et le « Moi supérieur », lequel est tout entier dévolu à nous guérir en nous amenant au fonctionnement harmonieux entre ces trois parties.
Il se trouve que notre sensibilité, représentée par la figure féminine, semble mieux informée que notre raison de ce qui fait notre Voie ou notre Être essentiel : on voit bien qu’elle réagit immédiatement en nous indiquant que tel domaine « nous parle » et que tel autre « ne nous parle pas » ; or, ce sont ceux qui nous correspondent, ou plutôt qui correspondent à notre Voie.
C’est comme si cette sensibilité savait parfaitement quelle est la Voie que nous passons notre temps à rechercher, alors que celle-ci est inconnaissable par la raison (inutile de chercher votre Voie en faisant des déductions logiques, vous ne trouveriez au mieux que la voie « la plus raisonnable », et les exemples de personnes tombées en dépression parce qu’elles avaient choisi la voie « raisonnable » sont légion). Par conséquent, la raison avisée va utiliser le sensible comme guide, plutôt que ses propres atouts ; ainsi, sur l’arcane VI, l’homme regarde la femme parce que la femme regarde l’ange. Elle fait bien, parce que c’est ainsi que l’on arrive à une vie saine, guérie des failles et névroses de celui qui se bat contre lui-même.
Michel signifie « Qui est comme Dieu ? », Dieu dont on voit le nom hébreu sur sa poitrine. Sur les tarots de type Rider-Waite, l’arc-en-ciel au-dessus de lui signifie qu’il fait ainsi l’intermédiaire entre Dieu et l’humanité ; c’est le symbole de leur alliance car il apparaît après le Déluge, lorsque l’Éternel s’engage auprès des hommes à ne plus chercher à les détruire. La même volonté d’allier le matériel et le spirituel apparaît dans le fait que cet archange ait un pied sur terre et l’autre dans l’eau, et surtout qu’il relie en un flot continu ses deux coupes dont la nature différente est indiquée par les deux couleurs du tarot de Marseille. Sur le tarot de Waite, le triangle dans le carré signifie tout simplement la présence de l’Esprit dans la matière.
Le disque solaire dessiné sur son front représente la lumière de l’âme réalisée par son travail spirituel. En effet, Michel est celui qui terrasse le dragon ; celui-ci représentant l’ego et les instincts bas que nous avons à surmonter, c’est le travail nécessaire à accomplir si nous voulons passer d’une vie purement matérielle à l’élévation spirituelle. Michel sera notre guide sur ce chemin : sa fonction d’ange gardien l’amène à faire l’intercession entre l’être humain et sa partie divine.
Uriel est l’ange du châtiment, et celui « que le Seigneur de gloire a préposé à toutes les étoiles qui brillent dans le ciel et éclairent la Terre » (livre d’Hénoch). C’est donc lui qui apporte aux êtres humains les lumières de la connaissance de Dieu. Lucifer est le porteur de lumière, et on le voit sur le Tarot apporter la lumière sur notre pire faiblesse : le mensonge que l’on se fait à soi-même. En effet, les deux petits personnages aux pieds du Diable sont enchaînés, mais ils ont l’air plutôt détendus pour des victimes prisonnières d’un monstre ; le nœud lâche des chaînes autour de leur cou qui nous force à finalement reconnaître que si nous nous sentons enfermés dans certaines situations, nous n’y sommes peut-être pas entièrement étrangers, et nous avons peut-être davantage de liberté que voulons bien le reconnaître. Voilà qui est bien désagréable, mais libérateur : tant qu’on se raconte que le problème est extérieur et que nous n’y sommes pour rien, il est absolument impossible d’agir.
N’oublions pas que c’est la chute de Lucifer-Satan qui rend possible l’existence de la liberté. Lorsque Dieu crée le libre-arbitre, tous ses anges continuent à agir parfaitement dans Son sens – exactement comme si, en créant le libre-arbitre, Il n’avait rien fait du tout. Il faut à ce moment que se sacrifie le plus beau d’entre eux pour donner à cette création la valeur qui lui manque : en se dressant contre Dieu, ce qui lui vaut la souffrance épouvantable d’être précipité loin de Sa face, Satan prouve qu’il est possible de dire non. Ce faisant, il donne à l’obéissance des autres la valeur qu’elle ne pouvait avoir avant son acte : si les autres obéissent à Dieu alors qu’il est possible de lui désobéir, alors ils lui obéissent librement. Si la désobéissance n’existait pas, ils obéiraient automatiquement, ce qui n’aurait aucune valeur. Sans la chute de Satan, tout n’est que déterminisme ; sans erreur, pas de salut possible. Voilà la véritable lumière que Lucifer apporte aux hommes : celle de la possibilité de l’erreur, que l’arcane XV nous force à reconnaître pour redevenir libres.
Gabriel est le messager de Dieu. Son nom signifie « Homme de Dieu » ou « Puissance de Dieu » ; on le considère comme un porteur de bonnes nouvelles, d’où sa représentation en train d’apporter la bonne nouvelle de la résurrection sur notre arcane. Gabriel annonce, il ne juge pas ; en général c’est Michel qu’on représente en train de juger.
Seulement, le Jugement dernier ne doit normalement pas représenter que la résurrection des justes : dans la tradition chrétienne, on voit toujours le contraste entre la récompense de ceux qui ont mérité la vie éternelle, et la punition des damnés. Notre arcane est donc étrangement partiale à ne montrer que la bonne nouvelle.
Ensuite, dans la Bible, Gabriel n’est pas celui qui sonne la trompette de la résurrection au jugement dernier. Il souffle dans sa trompette pour appeler tous les anges à être témoins du jugement de Dieu sur Adam au moment où il le chasse de l’Éden (« On entendit l’ange Gabriel souffler la trompette pour convoquer tous les anges et dire : Venez descendre avec le Seigneur au jardin écouter le jugement par lequel il va juger Adam »). Dans l’Apocalypse, sept anges soufflent dans sept trompettes ; Gabriel n’est pas nommé mais c’est sans doute lui et ses collègues (parce que « Puis je vis les sept anges qui se tiennent devant Dieu ; sept trompettes leur furent données » – Apocalypse 8:2 – comme dans Luc, 1:19 « Moi, je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour te parler et pour t’annoncer ces bonnes nouvelles » – c’est-à-dire la naissance du Christ). Cependant toutes ces trompettes servent à détruire la Terre, ce qui ne correspond pas du tout à la scène de notre arcane. Et Gabriel annonce bien une résurrection (Matthieu 28, 1-10), celle du Christ aux femmes venues faire leur visite au tombeau, mais sans trompette, et ce n’est pas un jugement non plus.
Donc, Gabriel annonce la bonne nouvelle, qui est la naissance et la résurrection du Christ, et il joue de la trompette quand il veut appeler tout le monde, mais il n’a pas (encore) fait les deux en même temps. Là où ça marche, c’est quand on considère qu’il doit aussi annoncer la seconde venue du Christ telle qu’elle est décrite dans le symbole de Nicée (« [Le Christ] viendra de nouveau juger les vivants et les morts… Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir »). Or, l’ésotérisme chrétien parle de notre Christ intérieur, qui représente notre âme réalisée en gloire… exactement ce vers quoi nous entraîne le chemin initiatique représenté entre autres par les arcanes du Tarot. L’ange du Jugement fait donc parfaitement son travail : en reconnaissant que les Justes en-dessous de lui correspondent à la Volonté de Dieu, il annonce leur apothéose et la venue du Christ intérieur, soit le moment où l’initié se rend compte que si sa Volonté et celle de Dieu correspondent, alors c’est bien qu’elles ne font qu’une, et que donc, il est Dieu. L’éveillé est donc le Tout, à la fois Dieu et le monde : c’est bien l’enseignement de la carte annoncée par l’arcane XX.
Attention les yeux, voici Gabriel sonnant de la trompette pour la seconde venue du Christ :
Voilà donc en place quelques éléments supplémentaires qui peuvent nous permettre d’apprécier davantage la cohérence exceptionnelle du système du Tarot ésotérique, et d’entrer un peu plus profondément dans chacune de ces quatre cartes.
Certains se servent aussi de la correspondance avec les quatre points cardinaux et les éléments pour la mise en place d’espaces rituels dans lesquels peuvent intervenir les cartes de Tarot. Ces correspondances sont les suivantes :
- Uriel préside au nord de la voûte céleste et correspond à l’élément Terre
- Gabriel préside à l’ouest de la voûte céleste et correspond à l’élément Eau
- Raphaël préside à l’est de la voûte céleste et correspond à l’élément Air
- Michel préside au sud de la voûte céleste et correspond à l’élément Feu.
Bonjour,
Quelle votre source pour dire que Uriel = Lucifer ? J’avoue que je n’ai rien trouvé la-dessus (a part dans une série américaine).
Cordialement
Super intéressant, j’adore ! merci