Agir dans la bonne direction mène à la victoire.
Le personnage du Triomphateur, sûr de lui et couronné (dans le Rider-Waite, par une étoile identique à celle de l’Etoile, XVII, parce qu’elle représente le guide sûr qu’est ce désir), conduit un bien curieux Chariot. Il est tiré par deux créatures contradictoires : soit d’énigmatiques sphinx qui ne tirent pas grand’chose, soit deux chevaux qui ne vont même pas dans la même direction. La suivraient-ils que le chariot n’irait pas bien loin de toute façon : c’est un bloc carré fiché dans le sol, et dont les roues paraissent plus décoratives qu’autre chose. De plus, sur un chariot normal, il y a des rênes – notre Triomphateur esquisse le geste de les tenir, mais elles restent obstinément invisibles.
Alexandre le Grand n’aurait jamais mis les pieds dans un tel véhicule. L’idée de conquête matérielle est attrayante mais ne suffit pas à rendre compte de l’enseignement de la carte. Le Tarot est un livre de progression ; cherchons donc l’étape qui suit l’enseignement de l’Amoureux.
En effet, le « triomphateur » du tarot de Marseille est visiblement le même personnage que dans l’Amoureux, quoiqu’un peu vieilli. Il a gagné en maturité, donc il a fait un pas de plus sur le chemin de la liberté. Dans l’arcane VI, il a appris que le bon choix était toujours celui indiqué par l’affect, pas la raison ; le Rider-Waite a ajouté que le plan affectif était toujours mystérieusement relié à notre Désir, que notre raison n’arrive pas à percevoir mais dont on perçoit qu’il est bien supérieur à tous les arrangements matériels.
Notre personnage a donc maîtrisé la notion de choix. La réalité lui a apporté beaucoup d’alternatives, et il a su trancher à chaque fois ; il a donc pu se rendre compte que ces choix allaient tous dans la même direction, bien précise – celle de ce Désir symbolisé par l’ange, invisible aux yeux de la raison mais essentiel pour chaque homme. Là où « ça nous parle », on ne sait pas pourquoi cela en particulier nous parle, mais nous obtenons la certitude que c’est par là que nous devons chercher pour mieux nous épanouir. Il ne connaît donc pas le but final, mais connaître la direction suffit pour y aller.
Une fois qu’il a perçu cette direction, il n’est plus utile de rester dans l’arcane VI, en attendant que le monde nous apporte alternative après alternative pour les juger selon ce critère-là. Il est temps d’aller les chercher nous-mêmes ; nous passons donc du choix à l’action. Le Chariot est celui qui n’attend plus que les choses se passent autour de lui, mais qui va les chercher conformément à ce même désir qui lui servait de critère auparavant. Au lieu de prendre ce que le monde lui offre, il part à sa conquête, parce qu’il sait dans quelle direction chercher. L’action est une notion difficile : la plupart du temps, on se contente de faire ce que la société attend de nous (trouver un travail, être une bonne femme / un bon mari, …), et on ne s’imagine pas qu’on pourrait aller chercher cette chose mystérieuse que nous désirons – en général, on se laisse arrêter par l’idée que nous n’aurions peut-être pas le droit, que ce serait présomptueux, égoïste en ce que cela nous conduirait à moins nous sacrifier pour les autres… Nous nous racontons même que si nous agissions, il n’y aurait pas de raison que les choses se passent autrement que mal, puisque ce serait quitter la sécurité d’un monde « maternel » pour aller vers l’inconnu (le Rider-Waite dessine le Chariot en dehors d’une ville fortifiée). La première fois que l’on agit, comme lorsqu’on prend la décision de quitter une vie qui ne nous satisfait plus, ou de laisser tomber un travail satisfaisant pour nous consacrer à quelque chose qui nous passionne, c’est le Chariot qui s’exprime.
Ce faisant, il n’impose pas de violence à un monde qu’il « forcerait » à lui offrir tout ce qu’il désire. Au contraire, il sait respecter les lois et les nécessités du monde, puisqu’il est passé par l’enseignement de l’Empereur. Par conséquent, il sait avancer avec le monde : on se rend compte lorsqu’on prend les choses en main, que celles-ci se mettent à aller dans notre sens… si nous n’essayons pas à tout prix de leur imposer un rythme qui n’est pas le bon. Le Chariot peut donc être posé à terre : il ne va pas plus vite que le monde, dont il se laisse emporter par le mouvement, ce qui ne l’empêche pas de conquérir. Surtout, si la carte représentait un chariot capable d’avancer, cela signifierait qu’il faudrait partir ailleurs pour aller à la recherche de son désir. Or, c’est bien sûr une erreur que d’aller le chercher là où nous ne sommes pas…
Ses instincts et pulsions ont beau être mystérieux à ses propres yeux (les Sphinx) ou partir dans tous les sens (les chevaux), son assise dans le monde lui permet de ne pas se laisser entraîner par eux, et il ne commet pas l’erreur de se focaliser sur leur maîtrise à tout prix. Nous sommes des créatures complexes, qui n’avons pas la main sur tous nos complexes ou notre système inconscient, mais cela ne nous empêche pas d’agir dans le monde et d’obtenir des résultats.
Dans un tirage, il nous parlera de nos moyens d’action, nous encouragera à conquérir sans renoncer, nous mettra en garde contre l’inflexibilité et la certitude
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