Cet article dans le cadre d’une réflexion psychologique sur l’utilisation du tarot dans un cadre thérapeutique cartésien.
Le tarot, un outil projectif ? On en parle souvent en ces termes dans le travail « taro-psychologique », c’est-à-dire non divinatoire – en d’autres termes, le travail où le tarologue accompagne le consultant à énoncer lui-même la vérité qui lui échappait. Par exemple, on peut tout à fait présenter une carte à la personne et lui demander ce que cette carte lui évoque, comment elle pourrait la décrire, indépendamment sa signification « officielle ». Un consultant pourra ainsi voir l’Empereur comme une figure de stabilité rassurante, ou au contraire y percevoir une autorité paternelle terrifiante et étouffante, en fonction de son histoire et de sa posture par rapport à elle. Cela permettra de travailler sur la facette ainsi révélée : dans ces exemples, la stabilité est une valeur importante pour le consultant (peut-être à cause d’une instabilité vécue et surmontée), ou bien le consultant a besoin de travailler son rapport au père (peut-être parce qu’il reproche à son père des attitudes qu’il a faites siennes), il y a déjà de quoi faire.
Cela, c’est utiliser les cartes comme outil projectif : on demande à la personne ce qu’elle y voit, c’est-à-dire qu’on la laisse fournir sa propre interprétation de l’arcane, et on travaille sur ce qui vient. On peut faire cela avec le tarot comme avec tout type de dessin, des tests de Rorsach aux cartes de Dixit, que beaucoup de psychologues utilisent ainsi avec d’excellents résultats (le Dixit est un jeu de société dont les cartes portent des illustrations oniriques, sans texte, que le joueur utilise comme support pour associer à ce qui lui vient à l’esprit).
Cependant, je pense que le tarot a quelque chose de plus que ces autres outils-là, et qu’on peut donc s’en servir pour aller un peu plus loin.
D’accord, le Rider-Waite a l’intérêt de nous apporter des images dans lesquelles on peut se projeter, à la différence du tarot de Marseille avec ses gravures hiératiques et ses mineures abstraites. Mais contrairement aux Dixit et autres, qui n’obéissent à aucun système, le Tarot contient une grille de significations extrêmement précise, carrée, et fermée. On commence par l’étudier dans l’ordre, avec l’idée que ses images représentent le déroulement du chemin initiatique, ce qui est déjà un postulat très précis et très fort, très cadrant. Après cela, on ne peut plus voir la Papesse comme on veut : c’est la gardienne du mystère, point, parce que d’autres significations n’arriveraient pas à s’intégrer dans le postulat « chemin initiatique ».
Donc, nous nous retrouvons avec un outil double : d’une part, les images nous invitent à projeter, mais d’autre part, un système de significations nous cadre et nous empêche d’y projeter toutes nos perceptions.
A mon avis, il y a un intérêt à préférer un outil comme celui-là à quelque chose de plus libre. Le Tarot est censé nous aider à dire ce que nous n’arrivions pas à énoncer peut-être depuis des décennies, comme par exemple « j’ai le droit de dire non » ; comment arriver à un truc pareil si rien ne nous met en stress, s’il n’y a pas de raison de sortir de ce qui nous est immédiatement évident et confortable ? Les images garantissent que le consultant ne soit pas exclu de son propre tirage ; mais la sévérité du cadre va littéralement nous forcer à voir les choses autrement, à regarder en face ce que nous n’avions ou ne pouvions pas penser, donc à créer un nouveau point de vue. Or, cela n’arrivera pas si on se contente de dire ce qu’une image nous évoque naturellement.
C’est cela qui se construit dans le dialogue entre consultant et tarologue. D’abord, le tarologue propose des interprétations qui entrent forcément dans le système de significations de la carte, parce qu’il s’appuie sur un savoir, et que ce savoir donne un cadre. Ensuite, le consultant indique la facette qui lui parle le plus dans ce qu’a dit le tarologue, c’est-à-dire ce qu’il se met à voir dans la carte (ce qui lui appartient) à la lumière de ce que lui a proposé le tarologue (là où il ne savait pas que ça pouvait aussi lui parler). Donc dans un cadre qui pousse à sortir de ce qu’il a l’habitude de penser et de ressentir.
Je crois que c’est cela qui permet au tirage de tarot d’être une vraie « co-construction » : ni juste ce que pense le tarologue car ce n’est pas le sujet, ni juste ce que croit le consultant car cela ne lui suffit plus (sinon il ne poserait pas sa question), mais, grâce à l’intervention de cartes à la fois précises et incontrôlables, la compréhension de ce qui était caché en nous depuis le début mais qu’on ne s’autorisait pas à penser.
Merci pour cet article, qui argumente une réflexion que je partage… J’aimerais approfondir encore ce qui légitime ce savoir attaché aux cartes du Tarot…