Certaines arcanes majeures semblent parler d’elles-mêmes. D’autres sont plus difficiles à comprendre et il faut beaucoup de travail pour entendre leur enseignement. Ces cartes-là mettent en évidence les « points aveugles » sur lesquels nous avons à travailler pour notre équilibre ; c’est l’un des cadeaux les plus précieux que nous fait le Tarot.
L’image de l’arcane paraît simple. Une femme porte les attributs normaux de la Justice, un glaive et une balance, à ceci près qu’elle n’a pas les yeux bandés. On peut rapprocher son glaive de l’As d’Epées, en ceci qu’il représente la lame tranchante de l’intellect. La décision de justice tranche entre le juste et l’injuste, parfois avec douleur, et elle indique sans ambiguïté l’action à tenir parmi tous les possibles. A partir de là, on a pu examiner par exemple l’impact d’une décision administrative qui avait déclenché une cascade d’événements dans la vie d’un consultant. Mais c’était passer à côté du symbole surprenant qu’est cette Justice aux yeux ouverts.
La Justice des hommes doit avoir les yeux bandés car on lui demande de juger les actes sans être influencée par leur auteur. Ainsi, pour la même offense, le puissant, le riche ou l’éloquent ne doivent pas mieux s’en sortir que le misérable, sous prétexte qu’ils sauraient mieux se défendre ou auraient les moyens de soudoyer le juge. Il est incontestable que cette valeur doive être défendue à tout prix.
Et cependant, la Justice du Tarot nous regarde en face, droit dans les yeux. Qu’est-ce donc qu’une Justice qui regarde notre personne, au lieu de s’en tenir au travail du tribunal ?
Sous un tel regard, « nous nous sentons jugés ». C’est donc notre personne qui est en jeu, plus seulement notre acte, parce qu’il ne s’agit plus du point de vue collectif de la société, mais bien de l’individuel. De nous, en tant que c’est notre nature qui s’exprime dans nos actes. Du domaine de la morale, que défend la Justice aveugle, nous sommes passés à celui de l’éthique, où l’on ne peut échapper à son regard.
Après un acte quelconque, nous pouvons très bien « faire comme si » ce n’était pas nous, comme s’il ne s’était rien passé, ou plutôt comme si nous n’étions pas vraiment concernés (« c’était quelque chose qu’il fallait faire »). Mais sous le regard fixe de la déesse couronnée, le masque tombe. Il pouvait suffire à nous tromper, mais pas elle. Nous sommes forcés d’assumer cet acte en tant qu’il exprime un aspect de notre vraie nature. Si nous avions commis une simple erreur, par exemple, alors il n’y aurait pas de raison de se voiler la face ; il aurait suffi de dire que nous avons fait de notre mieux et que le reste n’a rien à voir. Mais si nous n’avons pas fait de notre mieux ? Alors il va falloir reconnaître que nous sommes quelqu’un qui, parfois, ne fait pas de son mieux.
La Justice aux yeux ouverts nous signifie que nos actes révèlent qui nous sommes, que cela nous plaise ou non. Pour avancer et sortir du mensonge, nous allons donc devoir les assumer, c’est-à-dire reconnaître qu’ils nous révèlent à nous-mêmes. Comment en effet corriger nos défauts si nous passons notre temps à nous raconter que nous sommes déjà parfaits ? L’intervention de la Justice du Tarot est donc la première condition de la libération.
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