Qu’est-ce qui est le plus important dans le tirage ? L’imaginaire qui l’entoure nous fait croire que ce sont les messages apportés par les cartes, messages qui apparaîtraient indépendamment des participants pour donner des vérités absolues, et donc effrayantes. Mais en dehors des fantasmes de madame Irma, c’est tout le contraire : on a là tous les ingrédients du safe space.
Un espace spécial
Un « safe space », ou espace sécurisé, c’est un moment circonscrit dans un lieu où l’on se sent suffisamment en sécurité pour pouvoir être soi-même sans craindre que cela soit sanctionné par un jugement ou une agression. Cela permet le soulagement de pouvoir « tomber le masque » un moment, de se reconnecter avec soi-même, dans un monde où il n’est pas toujours bien vu d’exprimer autre chose que ce qui est attendu de nous.
Le tirage de tarot nous fait entrer dans un espace très particulier. D’abord, c’est un moment hors du commun, parce qu’il implique de laisser de côté son bon sens (« des cartes tirées au hasard qui me diraient des vérités sur ma vie ? Ridicule ! ») pour accepter de jouer le jeu le temps du tirage. Rien que cela, c’est l’occasion de faire un pas de côté, de passer un moment en dehors du « fonctionnement normal » de la société – c’est donc une belle occasion de penser en dehors des « clous » qui peuvent nous être imposés de l’extérieur.
Ensuite, c’est un moment qui crée son propre espace. On pose des objets particuliers selon son goût, tapis de tirage pour circonscrire l’espace du jeu, bougies ou éléments d’ambiance pour modifier l’espace habituel. On le ritualise, avec des règles qui dépendent du praticien, mais qui sont toujours respectées (façon de mélanger les cartes, de les tirer, etc). C’est un moment parfaitement délimité, avec un début très clair (la question) et une fin très claire aussi (la réponse). Cela signifie qu’à l’intérieur de ces limites, ce sont les règles du tirage qui s’appliquent, pas celles de la société.
Tout cela participe à créer un espace très clairement délimité, spécial, privilégié. Ici, les règles sont différentes. On sait comment cela se passe à l’extérieur (on doit garder le masque sur certains sujets) ; à l’intérieur, cela ne fonctionne pas de la même façon. Le message fondamental, c’est qu’à l’intérieur de cet espace peuvent être dites des paroles qui ne le seraient pas ailleurs.
Quand le tirage est bien mené, c’est-à-dire en dialogue, dans un accueil entier et respectueux, en prenant en compte les réactions du consultant pour chercher ce qui résonne en lui par opposition aux idées et projections du praticien, la parole qui sort des cartes est donc la « vraie » parole du consultant.
Sauf que la mise en scène est là pour faire croire que ce sont les cartes qui parlent, et pas lui ! Par conséquent, cette mise en scène permet que « sortent » des paroles qui seraient « interdites » dans les circonstances « normales ». Par exemple, une plainte, dans le cadre d’une éducation qui aurait fait intégrer au consultant que « un vrai mec, ça ne pleure pas » ou qu’une « gentille fille, ça ne casse pas les pieds du monde en venant se plaindre ». Ce qui est magique dans notre cadre spécial, c’est que la plainte va quand même sortir à travers les cartes, mais qu’on pourra toujours se dire : c’est OK, parce que ce n’est pas moi qui l’ai dit, ce sont les cartes. La plainte peut donc s’exprimer sans la culpabilité habituelle. C’est cela, un safe space : un endroit où la vérité peut sortir sans punition. Cela, que ce soit une punition extérieure (jugement, condamnation) ou intérieure (culpabilité, honte), sachant que cette punition intérieure n’est que la marque de l’intégration d’interdits qui nous ont été imposés de l’extérieur.
Des règles incontournables
Cela, c’est le merveilleux potentiel de notre outil. Mais pour que l’espace soit vraiment sécurisé, et qu’il ne se transforme pas en piège, il est absolument nécessaire de respecter une éthique absolue. Sans ces règles de base, on tombera du côté de l’emprise et de la manipulation, même si l’on est venu avec une certaine bienveillance (on peut faire du mal par ignorance aussi). Dans un tirage de tarot :
- Le praticien oublie son ego pour s’effacer complètement devant les cartes du consultant, c’est-à-dire ne défend pas bec et ongles son interprétation si l’autre n’est pas d’accord, et écoute réellement quand l’autre parle, quitte à reconnaître qu’il avait mal compris. Cela nécessite d’avoir suffisamment travaillé sur soi pour être conscient de ses réactions et pour lâcher prise sur son image.
- Le praticien s’interdit absolument tout jugement sur la situation et la personne en question. Cela nécessite d’avoir suffisamment travaillé sur ses problèmes personnels pour ne pas les projeter sur l’autre dans le cas où il nous amènerait une situation qui nous y renvoie (par exemple, il trompe sa femme alors que nous avons été trompé – et notre réaction émotionnelle nous empêche de voir les différences fondamentales dans la situation. Peut-être est-ce une question de survie pour lui ?).
- Le praticien s’interdit absolument de donner son conseil ou son opinion (dire « moi à ta place » est toujours faux puisque nous ne sommes pas à la place de l’autre). Le consultant n’est pas venu pour avoir l’opinion du praticien, mais celles des cartes, ce qui n’a rien à voir. Se sentir supérieur à cet autre (qui se met en vulnérabilité) pendant le tirage est un signe clair qu’il faut arrêter le tarot en général, et immédiatement.
- Ce qui est dit dans le tirage, reste dans le cadre du tirage, c’est-à-dire qu’on n’y revient pas ensuite une fois les cartes rangées. Si l’on est professionnel, on est évidemment tenu au secret ; mais si vous avez tiré les cartes à un ami proche, la règle est la même. N’utilisez pas ce qui est sorti dans le tirage pour venir lui en reparler dans un moment où il n’aura envie ni de continuer à en parler, ni de vous entendre lui dire que vous aviez raison. Le safe space ne peut exister que dans un espace circonscrit, alors ne brouillez pas les limites.
Ne prenons jamais ces règles à la légère. C’est important parce que tout espace circonscrit est facilement renversable pour devenir un espace d’emprise (c’est pour cela que les sectes créent des cadres très précis, qui isolent les personnes de l’extérieur). Si tout ceci est respecté avec fermeté, alors on a l’espace sécurisé où le consultant pourra exprimer des vérités qu’il n’a jamais dites (surtout à lui-même). Ce que l’on cherche en tirant le tarot, ce n’est pas faire des effets de manche pour montrer que l’on est une extraordinaire madame Irma. C’est obtenir des prises de conscience que les circonstances habituelles interdisaient.
Je suis complètement d’accord avec toi. Avant toute consultation je pose mon cadre qui prévoit trois simples ingrédients : écoute, bienveillance et non jugement. Ensuite je laisse la personne me dire s’ielle souhaite ajouter d’autres éléments dans ça cadre et dans un deuxième temps on part avec un dialogue préliminaire.