La Maison-Dieu : cette arcane continue à déconcerter les lecteurs français à cause de son graphisme. Là où l’immense majorité des tarots montrent la représentation parfaitement standard d’une tour frappée par la foudre, avec éclair en zig-zag et tout, le tarot de Marseille a été décrit comme « éjaculation » avec « une plume qui sort » et des « confetti symboles de joie cosmique » : de quoi se retrouver bien embrouillé. Alors, d’où vient cette étrange divergence et qu’interpréter ?
Les données du problème
Les habitués du tarot de Marseille sont en général surpris par le côté direct, voire brutal, des tarots de type Rider-Waite. La Tour est frappée par la foudre et prend feu pendant que ses occupants sont précipités avec violence sur le sol, sur fond de ténèbres. Il est plutôt difficile d’y voir « une danse de célébration joyeuse », un accouchement, un pénis, ou de raconter au consultant des histoires sur le fait que son Corps soit empli de la lumière de sa Conscience et qu’il doit aider la nature (parmi d’autres éléments d’une surprenante stupidité dans la Voie du Tarot). Clairement, c’est un choc brutal qui fait tomber de haut.
Ceux qui préfèrent éviter au maximum les connotations négatives auront forcément du mal avec le dessin du tarot de Waite ; il reste possible de se forcer à trouver quelque chose de doux dans la représentation du tarot de Marseille, dont le dessin plus éloigné de nos attentes modernes paraît plus étrange.
En effet, ce que tous les autres s’accordent à dessiner comme un éclair normal y a plutôt l’air de quelque chose de poilu qui coule, soit du haut vers le bas (la flammèche juste au-dessus de la fenêtre supérieure est comme une main qui touche la tour au bout du « bras » du plumeau), soit du bas vers le haut. On rencontre l’idée que ce plumeau ressemble au feu des boosters d’une fusée qui décolle, d’où l’idée d’éjaculer (!) ou de s’élancer vers le cosmos pour Camoin.
Aussi, ce plumeau s’accompagne d’étranges « confetti » qu’on peut aussi interpréter comme la « preuve » que cette carte représente une « danse de célébration joyeuse dans un décor de théâtre ». Le problème, c’est que ces interprétations ne font qu’ajouter de la confusion dans une arcane normalement bien claire en s’appuyant sur un raisonnement par analogie plus que glissant.
Représentations médiévales
Nous sommes aujourd’hui habitués à un code graphique particulier : en BD et partout ailleurs, la foudre est représentée par un éclair en zig-zag, et l’habitude rend le décryptage de ce code évident. Seulement, il n’a pas toujours existé tel quel. Dans les enluminures médiévales, la foudre apparaît de manière très différente : c’est un feu qui coule du ciel un peu comme un torrent… (Royal 14 E. iii, f. 133v)
Quant à nos confetti, les deux versions de l’Apocalypse selon saint Jean ci-dessous les utilisent pour montrer les étoiles qui tombent du ciel (« comme les figues vertes tombent d’un figuier secoué par un gros vent » 6, 13) :
(Respectivement, Queen Mary Psalter et Royal MS 19 B XV).
A partir de là, on peut supposer que soit la Maison-Dieu est une représentation normale de la foudre, avec les petits ronds en guise d’étincelles normales quand une tour brûle, soit elle pourrait provenir de ce contexte apocalyptique, ce qui permet de la relier à l’idée de dévastation divine présente chez saint Jean.
Liens avec l’interprétation
Et tout cela colle bien avec la signification accordée à la carte dans le contexte de la lecture du Tarot : l’apocalypse, c’est la révélation, le moment où nos constructions mentales s’écroulent pour que nous soit révélée la vérité des choses (chez saint Jean, la révélation est que cet âge va se terminer et que le Bien finira par triompher du Mal, malgré l’idée qu’on peut se faire d’un monde continu et moralement neutre).
Quel que soit le graphisme retenu, de type Marseille-Grimaud ou Rider-Waite, il reste que la Tour est une construction (humaine) frappée par la foudre (providence), et qu’elle s’écroule, projetant ses occupants au sol dans une rencontre plus ou moins sévère avec la réalité. Sur le Rider-Waite, l’angoisse est totale : oripeaux et belles couronnes ne ralentissent pas la chute. Sur le tarot de Marseille, les personnages ont l’air plus détendu. Celui de droite semble notamment accueillir le sol devant lui (au lieu de se prendre une brique sur le crâne comme sur le tarot de Wirth, comme quoi c’est un détail secondaire).
La Tour est une construction artificielle et sans porte : elle peut donc représenter préjugés et constructions mentales, les idées que l’on se fait du monde et dans lesquelles on vit sans ouvrir la porte aux autres possibilités (on va rarement chercher les informations qui ne correspondent pas à ce que l’on pense déjà). Si, pour protéger nos préjugés, nous n’allons pas spontanément chercher ce qui les remettra en cause, l’écroulement ne pourra venir que de l’extérieur, par l’irruption d’un événement incompatible avec la vision que nous nous sommes construite. Résultat : angoisse et désespoir, comme sur le dessin du Rider-Waite, car quand son monde s’écroule, on ne fait pas le malin. Mais difficile de se raconter que perdre ses préjugés soit une mauvaise chose : lorsque cela arrive, c’est pour nous faire voir la vérité, bien plus riche que ce qu’on a pu se raconter.
Voilà à quoi on peut relier l’attitude émerveillée du personnage qui découvre l’extérieur sur le tarot de Marseille, si on veut ; dans tous les cas, tempérer la signification de la Maison-Dieu dans un tirage de tarot n’est pas vraiment souhaitable. Si « ce n’était pas comme tu pensais », mieux vaut être prévenu pour pouvoir repenser.
j’ai toujours bien compris cette carte, mais j’ai vu autrement la tour avec le jeu » the silver witchcraft tarot » editions lo scarabeo. on y fois un arbre avec deux oiseaux sur deux branches: la foudre est derriere. un oiseau jaune reste dans son nid et l’autre en rouge s’envole sous l’orage. ca m’a parlé.
J’ai toujours eu peur de la carte XVI, de la Maison Dieu, parce que c’était évident pour moi, dans un graphisme ou un autre, qu’elle signifiait la destruction, la catastrophe, l’écroulement. Je la connectais évidemment avec la biblique Babel, et l’hubris, d’où la notion de châtiment tombé du ciel pour l’orgueilleux qui « s’y est cru ».
Et puis un jour, en parlant avec ma mère qui n’y connaît rien et s’en fout, d’un tirage de Tarot qu’elle avait reçu, elle m’a dit avec un mouvement de joie « ah oui, il y a eu la Maison Dieu, c’est super, j’adore ».
Surpris, je lui ai expliqué les connotations a priori plutôt négatives de la carte « c’est une carte associée à la destruction, au fait que les structures établies volent en l’air » et elle a acquiescé en redoublant d’enthousiasme : « oui, oui, c’est super, ça bouge ! moi j’ai envie que tout ça vole en éclat, qu’on respire enfin ! »
Je me suis aperçu que si dans ma psyché, la destruction d’un ordre établi était quelque chose que je craignais plus ou moins inconsciemment, dans la sienne, la destruction était au contraire souhaitable vis-à-vis d’un ordre perçu comme pesant et mortifère.
Et que du coup, de même que nous avons des angoisses très différentes – angoisse de mouvement contre angoisse d’immobilisme, par exemple – nos réceptions des cartes sont également très différentes, et qu’il ne peut pas en conséquence y avoir de symbole absolu. J’ai pensé que peut-être, certains vont s’identifier aux êtres qui tombent sur la carte, et d’autres… à l’éclair qui frappe la tour :)
Bonjour,
C’est après avoir acheté le Tarot Steampunk de Barbara Moore en février, par amour pour l’ambiance victorienne, que je me suis lancé dans quelques tirages…pour voir… En 3 tirages, la Tour est sortie pour moi 3 fois de suite. J’ai été catastrophé en lisant les explications, ici ou là. Cette Tour pourtant m’attirait, et c’est grâce à elle que je me suis vraiment mis à l’apprentissage du tarot. Six mois plus tard, après une douzaine de livres lus, dont votre excellent Rider-Waite (!), et l’achat d’un Tarot de Marseille, d’un Viéville et d’un Tarot Noir, la Tour ou Maison-Dieu me plaît et m’intrique toujours autant. Comme vous dîtes, j’ai voulu chercher des explications me permettant de tempérer sa signification. Au vu de ce qui m’est arrivé quelques semaines plus tard, elle essayait simplement de m’ouvrir les yeux.
Votre article arrive au bon moment.
Merci,
Eryx
Bonjour, merci. Autant que dans d’autres jeux on la retrouve sous » Thunderbolt » avec le Osho Zen & Disruption sous le psychic Tarot ; la représentation à voir et comprendre sous Grimaud ou autre est vraiment une symbolique de surprise, d’inattendu et dans mes tirages la carte qui suit donne vraiment le ton de cet évènement 16. Je remarque juste que les autres oracles la représente souvent en négative, mais de toute façon si les gens se fient à internet pour le tarot de Marseille, dans 80% des cas : maison-Dieu est signe de catastrophe, de tsunami, de coup néfaste du sort…etc…Pour moi il y a Dieu et diable dans mes 22. Intéressant en tout cas. merci.
Le symbole est d’une telle complexité que l’on pourrait dire que chaque personne est un « Tarot » en elle même, c’est ce qui fait la vraie richesse des archétypes, je projette sur la lame ce qui me concerne personnellement, le Tarot pour cela reste un puits sans fond et parle à l’universel, on ne peut donc l’enfermer dans telle ou telle signification, c’est son mystère, sa grandeur!
Merci Emmanuelle pour ton article très intéressant!
Très belle synthèse et justes remarques au sujet du Tarot de Marseille dont je suis pourtant une pratiquante passionnée. Je vais prochainement lire votre travail sur le Rider-Waite et je sens que je vais me régaler.
Je suis également de ton avis sur interprétation de la Maison Dieu. Y voir la fête et la joie est excessif. Son graphisme parle de lui même, il est effectivement plus « sévère » dans le Waite. J’ai l’impression que sur le TM, les personnages tombent mais se réceptionnent sans mal, par contre leur œuvre, projet, action, leur claque au visage. Elle peut aussi être un avertissement.
Difficile de ne pas y voir une analogie avec la tour de Babel, mais qui s’adapte aux diverses situations rencontrées par le questionneur. Pour ma part, le choc émotionnel et/ou matériel est assez clair. Cela dit, je pense que ce n’est pas une fin en soi pour les personnages, leur expression au sol n’est pas celle de moribonds…
En ce qui concerne le Waite, c’est plus violent, ça donne quand même une vision de chute apocalyptique…Mais avec le Tarot, les choses sont tjrs à prendre avec des nuances élargies et à plusieurs niveaux.
Merci Emmanuelle, tes articles sont très intéressant