Le tétragramme divin (yod, hé, vav, hé) représente traditionnellement un condensé des principes de la création. On le retrouve de temps en temps caché sur une carte quand sa signification se rattache à un de ces principes fondamentaux. Les yods dispersés dans plusieurs cartes du Rider-Waite leur donnent un air kabbalistique et compliqué, mais c’est en réalité assez simple à comprendre.
Le yod représente traditionnellement la main, parce que son trait ressemble à une main ouverte vers le ciel. C’est en même temps la plus petite des lettres de l’alphabet hébreu ; comme ce n’est qu’un petit trait, on dit que c’est par elles toutes les autres commencent et terminent. On comprend donc qu’elle représente surtout la main de Dieu.
C’est l’ « étincelle divine » qu’on voit à l’oeuvre dans la Providence, lorsqu’un événement qui devrait être aveugle nous paraît lourd de sens ; et dans les forces qui se déploient dans l’univers – force de génération, dynamisme qui conduit la nature à se perpétuer, etc. C’est aussi notre libre-arbitre. Un véritable acte de liberté, c’est quelque chose qui n’est pas uniquement déterminé par ce qui entoure, ça ce sont les réflexes mécaniques impersonnels. Si un acte est libre, alors il est vraiment mien, puisque rien d’autre que moi-même ne me déterminait à le faire. Cette liberté nous permet de dépasser les lois de la pure matière, qui sont déterministes et aveugles, donc on peut aussi appeler cela « étincelle divine ».
Tout cela, c’est l’antithèse de la matière lourde et mécanique.
Dans le Rider-Waite, les Yods apparaissent sur les cartes suivantes :
- XVI, la Maison-Dieu, parce que l’action de la Providence vient nous forcer à voir la réalité telle qu’elle est. Il y a 22 Yods pour rappeler le nombre des lettres de l’alphabet hébreu, et il représente traditionnellement l’ensemble de la création. Un système de pensée ne peut être remis en question que de l’extérieur, par l’irruption d’une réalité qui ne peut pas rentrer dedans. Quand notre système vole en éclats, cela nous force à voir que l’idée dans laquelle nous vivions n’était qu’une construction mentale (préjugé, certitudes, système quelconque). Nous ouvrons alors les yeux sur la réalité. Or, c’est elle qui est la vraie « maison de Dieu » car c’est la création divine – la création humaine qu’était la Tour ne faisait que restreindre notre champ de vision.
- XVIII, la Lune. Ils sont 15, on les rattache en général au Diable. Pas de spiritualité chez lui, parce que l’arcane XV est une carte d’enchaînement à la matière aveugle. Mais si on utilise le libre-arbitre, notre étincelle divine, on peut décider de s’en libérer pour mieux se comprendre. La Lune, c’est le moment où l’on se confronte aux profondeurs de notre inconscient pour les comprendre et nous réconcilier avec elles. Ses 15 yods pourraient donc symboliser les connaissances glanées chez le Diable, que l’on retrouve cette fois-ci en en étant conscient. On sait quelles choses nous enchaînent : on est donc prêt à se demander d’où vient cette prédisposition chez nous pour le comprendre et se le pardonner.
- As de Coupes : les yods dégoulinent de partout le long de 5 ruisseaux, à raison de 5 chacun (25 en tout). Le 5 rappelle le Pape, l’arcane de l’enseignement, où il y a quelque chose à écouter qui a une valeur sacrée ; c’est aussi le chiffre de la crise, quelque chose qui nous tombe dessus sans qu’on ait rien demandé. C’est une bonne manière de symboliser le caractère sacré de l’émotion. Elle nous tombe dessus sans qu’on l’ait décidé, de façon toujours surprenante, mais éclairante parce qu’elle m’apprend quelque chose sur moi-même à chaque fois.
C’est aussi le lieu où apparaît le mieux ma singularité, que je dois à mon libre-arbitre ou à mon « étincelle divine ». Ce qui me touche ne touchera pas forcément quelqu’un d’autre, ça me touche parce que c’est moi. L’émotion, c’est ce qui montre que je ne suis pas interchangeable.
- As d’Epées : il y en a 6, chiffre sacré de dépassement. L’intellect nous permet de réfléchir pour sortir de la superstition et avancer sur la voie de la connaissance ; il y a de la liberté dans la pensée. Il ne faut donc pas rejeter « le mental » en bloc sous prétexte qu’on nous parle de lâcher-prise : on ne pourra pas s’élever sans lui !
- As de Bâtons : 8 feuilles libres volettent autour du bâton bourgeonnant, et elles ressemblent trop aux autres yods pour ne pas en être. Le 8 est un chiffre d’expression libre ; la créativité est une force qui nous précède, nous succède, et s’exprime à travers nous. Nombre de philosophes y ont vu la preuve de la présence continue du souffle divin, sans lequel le monde s’essoufflerait pour devenir inerte et mort.
- L’as de Deniers n’a pas de Yod parce que la matière n’est pas spirituelle.
Après, on peut rajouter des yods un peu partout où on trouve l’empreinte de la spiritualité. Le tarot des Builders of the Adytum en rajoute un gros sur la capuche de l’Ermite, par exemple, pour montrer qu’il a compris ce qu’était l’étincelle divine et qu’il se soumet à sa singularité. On peut rajouter autant de couches qu’on veut à chaque carte, il suffit d’avoir une signification et des symboles plus ou moins hermétiques à lui faire correspondre.
Au final, tout ça ne change vraiment pas grand’chose à la lecture. C’est au mieux un aide-mémoire. Mais on se sent mieux d’avoir fait cette recherche, parce qu’il n’est jamais agréable d’éclairer une question avec un tarot dont les détails ont conservé de l’obscurité.
Welcome back in Paris Emmanuelle, et merci de faire vivre ce site de connaissance.
Je me permets juste d’ajouter un petit point concernant le Yod. D’après mes lointains souvenirs de cours de Talmud, le Yod est une des lettres majeures dans la tradition hébraïque. Certes, elle est la plus petite de tout l’alphabet, pourtant sa présence première dans le Tétragramme fait d’elle une grande lettre. Elle une sorte d’atome qui construit tous les autres graphes hébreux, sans elle tout le graphisme particulier de l’hébreu carré s’effondre, car elle soutient tout l’édifice, la plupart des mots hébreux seraient imprononçables sans le Yod.
C’est juste une lecture supplémentaire qui s’ajoute à toute la littérature symbolique, ésotérique, kabbalistique sur le sujet.
Bonne année 2016
Bonjour Emmanuelle et oui, bienvenue et bon retour à Paris.
Encore merci pour tes lettres et ta générosité à partager tout ce savoir.
A quand des groupes de travail en plus de ceux de découverte ?
La bise et bon bout d’an…
Passionnant ! Merci et bonne arrivée à Paris !!!