Après le choc, la nausée, qui refuse de s’estomper. Des assassins sans visage ont massacré des innocents dans des lieux représentant un quotidien en paix. Que pouvons-nous faire, nous, pour les empêcher d’imposer leur monde ? Poser la question de la liberté, parce qu’elle les épouvante.

Ceux qui commettent ces crimes-là ont de la certitude.

Ils sont absolument certains de tout un tas de choses très précises. Plus certains encore que de leur propre vie, puisqu’ils meurent au nom de ces choses-là. C’est quelque chose.

On nous dit qu’il y a beaucoup de Français chez eux, on entend : des gens qui auraient normalement dû être comme nous. Sauf qu’il manquait, à ces gens comme nous, quelque chose de terrible : un sens qui soit le leur. Leur vie n’avait pas de sens, alors ils en ont cherché un ailleurs, et ils ont trouvé des voix qui s’élevaient. Ils se sont alors soumis avec passion au sens que ces voix leur proposaient. Parce qu’une fois qu’ils les avaient écoutées, tout s’était mis à faire sens pour eux. Parce que ce monstre leur est apparu comme un chemin d’éveil.

Manque de chance, la seule réalisation de soi qu’on leur a proposé, c’était de se faire sauter, tellement leurs chefs les percevaient comme de la marchandise remplaçable. Voilà ce à quoi mène le fait de se soumettre à un sens qui n’est pas le nôtre, un sens qui nous est apporté par quelqu’un d’autre que nous. On se fait esclave pour que quelqu’un nous soulage de l’angoisse de n’avoir pas trouvé de sens qui soit le nôtre, on accueille le maître avec soulagement, et il nous dévore corps et âme. Mais qu’est-ce que ça veut dire au juste, se faire esclave ?

 

Notre vie est irremplaçable, elle est la seule que nous ayions, et elle est la nôtre parce que nous ne sommes pas n’importe qui. C’est la seule chose qui nous fasse exister, car si nous n’étions que des robots suivant tous mécaniquement leur programmation, il n’y aurait pas de “nous” ! Il n’y a que ma liberté qui puisse me faire faire autre chose que ce qui était mécaniquement prévu par le reste. Un acte “libre”, c’est un acte qui est authentiquement mien, pas une simple conséquence d’autre chose. Donc, là où il n’y a pas de liberté, “je” ne suis pas. Si on est tous interchangeables, c’est qu’on fait tous la même chose, donc qu’il n’y a pas de liberté, donc que “je” ne suis pas.

 

Or, les assassins se sont fait sauter au nom d’un truc tout en criant une formule stéréotypée. Ils ont donc clamé haut et fort qu’ils étaient remplaçables. C’est-à-dire qu’ils n’étaient rien. C’est littéralement la meilleure illustration de ce que c’est que ne pas avoir d’âme, et s’ils ont pu tuer si facilement, c’est que leur première victime était déjà tombée avant qu’ils n’enfilent la veste.

Ces gens-là sont inhumains parce qu’ils nous imposent l’épouvante dans toute son obscène nudité, mais aussi parce que la seule chose qu’ils disent, c’est : il n’y a pas d’âme. L’âme, c’est un terme qui désigne ce qui en nous n’est pas de l’ordre du réflexe mécanique, du remplaçable. Une machine n’a pas d’âme, un être libre si.

Et le monde qu’ils espèrent est bien la preuve qu’ils veulent supprimer l’âme. C’est un monde où s’applique une loi archaïque, obsessionnelle et paranoïaque sur tout jusqu’au plus intime – pour que tout soit bien conforme, donc mécanique, jusqu’aux derniers détails, pour que surtout plus personne n’ait d’âme, parce que les gens qui ont une âme sont emmerdants à nous montrer qu’il est possible d’être soi-même, il leur suffit d’être pour nous coller un doute qui agisse comme un virus, et ce virus détruit un à un les programmes des robots avec lesquels ils rentrent en contact. Tout bon robot doit donc vouloir exterminer les âmes.

 

C’est difficile de penser après de tels événements. L’âme est contagieuse, mais l’absence d’âme l’est aussi – face à cette cruauté absurde, le réflexe est de répondre avec haine et violence. Mais ça, c’est la règle de leur monde ; or, celui-ci ne doit pas sortir de là où il est aujourd’hui, leur imagination. Notre monde à nous est habité par des humains qui ont une âme, pas par des mécanismes.

 

mat tarot maçonniqueOn pourrait nous reprocher de continuer à jouer avec les cartes de tarot “alors qu’il y a des problèmes sérieux”. Mais ces cartes sont utiles aujourd’hui pour la réflexion qu’elles déclenchent. Elles sont toutes ambiguës : ce ne sont pas des cartes faites pour consolider les certitudes, mais bien pour en exposer l’illusion. Elles me montrent que savoir qui on est et ce que l’on veut n’est pas si facile ; ce faisant, elles m’amènent à me demander qui je suis et ce que je veux, moi. Les tirages passent leur temps à me rappeler que j’ai le droit de prendre mes propres décisions, vérité si souvent obscurcie par toutes les choses qui essaient de nous influencer constamment. Les cartes me racontent des histoires de liberté : bon prétexte pour réfléchir ensemble à ce qu’est la liberté. Les arcanes du Tarot guident la réflexion, mais sans rien imposer : on les lit toujours dans le désordre, c’est-à-dire dans un ordre qui n’est qu’à nous, ici et maintenant. Il faut les interpréter, c’est-à-dire créer du sens à partir d’elles, ce qui est le contraire de la soumission à un message existant.

Donc, les étudier nous apprend à penser, sans nous dire quoi penser. Et si on demandait à ceux de Daesch ce qu’ils pensent de tout ça, leur réponse serait parfaitement claire.

Si quelque chose nous amène à penser à notre liberté, c’est-à-dire à nous poser la seule question qui nous empêche de vivre une vie de mécanisme, alors nous avons besoin de ce quelque chose maintenant. Parce que nous sommes confrontés à des gens qui veulent que le monde ne soit plus habité que par des mécanismes interchangeables. Or, en tant qu’êtres libres et irremplaçables, nous ne pouvons pas l’accepter.

Continuons tous, avec toute la force que nous pouvons y mettre, à réfléchir aux questions qui en vaillent la peine. Continuons surtout à les partager, pour nous aider les uns les autres à avancer vers plus de conscience et de liberté. Ces questions leur barreront mieux la route que l’escalade de la violence.