Tout le monde est d’accord : il est très difficile de se tirer les cartes à soi-même. Si difficile, que cela risque de décourager tout de suite ceux qui ont envie d’apprendre, car lorsqu’on débute, on dispose rarement d’un autre cobaye que soi-même… Le tarologue triche souvent, car il lit aux inconnus. C’est beaucoup plus facile : lorsqu’on ne connaît pas la vie de l’autre, on n’est pas tenté de projeter quoi que ce soit sur les cartes et la lecture reste objective. Quand on est partie prenante, par contre, notre esprit et nos émotions nous mettent des bâtons dans les roues pour rendre notre interprétation beaucoup plus difficile. Surmonter ces obstacles demande de l’attention ; faisons-en le tour pour savoir nous en protéger.

Si je m’apprête à tirer le Tarot, c’est que j’ai besoin d’un conseil. Si j’ai besoin d’un conseil, c’est peut-être que je n’ai pas bien fait les choses. Je dois donc me préparer à recevoir une réponse inconfortable ; et comme un conseil s’applique, un tirage est aussi une promesse de plus de travail à faire.

BoredPupil2…Comment se sent un collégien qui aurait une question pour le professeur, mais qui sait que s’il se fait remarquer, celui-ci lui donnera un exercice supplémentaire ?…

Il faut se rendre compte que ce collégien n’est pas mort en nous et que malgré nous, il risque de nous influencer pour rendre notre interprétation difficile, au point de nous décourager. Il vaut mieux être prévenu, pour ne pas être pris au dépourvu lorsque les ennuis vont commencer.

 

Les stratagèmes du collégien : les reconnaître pour les surmonter. 

Le Tarot n’est pas une fenêtre sur l’avenir : si c’était le cas, les marchés boursiers auraient depuis longtemps fait en sorte d’en interdire l’utilisation aux particuliers. C’est un outil qui guide le long travail que nous avons à faire sur nous-mêmes pour apprendre à agir au mieux et en toute liberté. Or, agir librement, c’est difficile ; il n’y aurait pas de travail à faire sinon. Changer d’habitudes est fatigant, car il faut tout le temps être attentif pour court-circuiter le “mode automatique” ; les habitudes même mauvaises sont rassurantes, et nous avons un besoin légitime d’être rassurés ; elles donnent un plaisir incontestable (manger un gâteau est plus gratifiant que suivre un régime) ; elles nous protègent (obéir à ce qu’autrui attend de nous est moins risqué que partir à la conquête de notre propre désir), etc. Nous sommes forcés de reconnaître tout cela, même si d’un autre côté nous voulons aussi nous donner les moyens d’être heureux et libres.

Il y a donc une partie de nous qui a bien compris l’intérêt qu’elle avait à ne pas nous laisser nous lancer dans ce travail. Cette partie, que certains appellent l’ego, va utiliser plusieurs “trucs” pour nous empêcher d’obtenir le conseil que nous cherchons. Reconnaître ses stratégies peut déjà nous aider à ne pas tomber dans ces pièges, et donc déjà éviter un certain degré de confusion lorsque nous serons devant les cartes. Avec un peu d’habitude, vos lectures deviendront plus faciles.

 

– D’abord, notre mental a tendance à s’emballer. “De quoi ai-je l’air ?” “Ah, je ne comprends rien, c’est donc que je ne suis pas capable de lire les cartes, je ferais mieux de faire autre chose de plus raisonnable”. Nous avons du mal à nous concentrer et nous devons résister à la tentation de nous lever et de faire autre chose. Nos émotions ne sont pas en reste : si le problème nous touche fortement, les pensées tournent sans arrêt dans notre tête, et nous aurons du mal à nous débarrasser de ce “bruit de fond” pour laisser les cartes dire autre chose.

oeil ouvertPour rétablir le calme, il y a une technique toute simple, et très efficace. Lorsque nous sommes pris dans nos pensées, nous sommes projetés de-ci, de-là, partout où notre pensée va – si nous pensons à X qui nous a fait du tort, et que nous nous imaginons le remettre à sa place, c’est avec lui que nous sommes en pensée, et pas là où nous sommes (seul assis à la table). Il faut donc nous ramener là où nous sommes. Cela se fait en prenant conscience que nous sommes assis, ici et maintenant. Quand on a l’idée de faire cela, on se rend compte que les choses deviennent d’un coup un peu plus claires (essayez tout de suite, cela ne demande même pas de mouvement particulier). Observez cette petite clarté et le petit moment d’étonnement qui vient avec : ah oui, tiens, c’est vrai, c’est là que je suis. Cela me paraissait une évidence, mais je me rends compte en brisant le fil de mes pensées qu’en fait j’étais ailleurs. (La difficulté, c’est d’y penser alors même qu’on est déjà pris dans le fil de ses pensées – il est bon de s’y habituer).

Contre la pression et l’idée qu’ “on ne sait pas bien le faire”, on surmonte la peur de la page blanche en commençant par dire (ou écrire) le nom de la carte et ce qu’on voit dessus. C’est simple, et cela permet de lancer la machine et de voir ce que la carte nous évoque, en acceptant de ne plus nous souvenir de ce qu’on a lu. Faire un effort de mémoire pour retrouver “sa leçon” nous fait partir dans le mental et nous éloigne de l’expérience que nous faisons des cartes, maintenant et personnellement.

Avoir pris le temps de ritualiser son espace – téléphone éteint, draperie sur la table, bougies ou encens, etc – permet de s’y sentir bien ; mais surtout, le temps investi nous protège aussi de l’envie de nous lever pour passer à autre chose. Il faut aussi garder à l’esprit qu’il est normal que le sens n’apparaisse pas tout de suite : ce sont des symboles, qu’il faut donc décrypter, pas des signes dont le travail serait d’indiquer immédiatement ce qu’ils veulent dire.

 

– Ensuite, nous aurons envie de tricher. Nous nous racontons que les cartes sont mal sorties parce que nous avons “mal” tiré ; nous voulons alors corriger cela en retirant “correctement”. Ou alors, telle carte est incompréhensible ; nous allons donc retirer une carte de “clarification” pour obtenir des informations supplémentaires. Manque de chance, cette clarification n’est pas claire non plus ; nous allons donc en retirer une, et ainsi de suite… jusqu’à la confusion totale.

Pour se protéger de ce réflexe, il faut déterminer par avance la façon dont nous allons tirer, et s’y tenir sans faille. Je détermine que pour répondre à ma question, le mieux serait un tirage de tant de cartes et avec telle signification pour les emplacements ; que je vais couper de telle manière, que je vais poser les cartes dans tel ordre ; et c’est seulement après avoir posé cette décision que je tire les cartes face visible. Le travail se fait dans l’ordre et la discipline : une fois que le tirage est décidé, et qu’ensuite on est dans les cartes, on ne revient plus en arrière. De même, il est utile de se tenir à interpréter les cartes les unes après les autres, dans l’ordre, avant de prendre du recul pour voir le système qu’elles forment ensemble.

 

– Stratagème particulièrement vicieux et répandu : projeter nos idées de manière à ce que le tirage n’apporte rien de plus que ce qu’on sait déjà. Nous reconnaissons très clairement ce que chaque carte représente. Ceci, c’est ma manière de me replier sur moi-même ; cela, la confusion que je ressens ; mais aucun conseil ni information supplémentaire ne m’apparaît, le tirage semble bloqué dans le même constat que moi.

rider waite 8 d'épées significationLà encore, il faut reconnaître le mécanisme de défense à l’oeuvre. Les significations des cartes sont précises, mais en réalité toujours ouvertes : elles décrivent, mais elles donnent aussi la porte de sortie qui correspond. Elles sont conçues comme cela. Par exemple, le 8 d’Epées constate que nous nous sommes fabriqué une vision de la situation purement intellectuelle, qui nous empêche de voir ce qu’il en est réellement. Mais la porte de sortie est aussi impliquée là-dedans : laisser de côté nos idées préconçues et nous confronter à ce qu’il en est concrètement, pour les mettre à l’épreuve. Les liens qui entravent la femme dessinée sur la carte ne sont pas si serrés, elle pourrait facilement les secouer… Quelles sont les portes de sortie indiquées par nos cartes ?

Nous pouvons aussi objectiver un peu notre interprétation en consultant un livre de significations. S’il est bien fait, il nous donnera plusieurs idées à partir de notre carte ; certaines nous paraîtront complètement à côté de la plaque (“manque d’informations sensorielles”), d’autres beaucoup plus parlantes (“la raison m’empêche de bien accéder à mon intuition”). “Tiens, je n’y avais pas pensé !” Il faut garder ces dernières, car si elles nous parlent, c’est qu’elles nous concernent.

 

– Autre tendance répandue : se braquer pendant le tirage. Nous voulons absolument une réponse en oui ou en non, une réponse “claire” (parce qu’on ne voit pas apparaître une solution toute faite dans les cartes), ou nous voulons utiliser un tirage grand et compliqué parce que ce serait “le meilleur”, alors qu’il est trop complexe pour notre question.

Les différentes techniques de tirage sont des guides qui nous aident, jamais des obligations. Lorsqu’une question est plutôt simple, ce n’est pas la peine d’invoquer la Croix celtique pour que ses 10 cartes nous en décrive les implications passées, futures, les motivations inconscientes, l’environnement et la famille, etc. Trop d’informations inutiles = Confusion. Et en général, il est bon d’oublier les règles. Vous avez posé une question oui/non et le Tarot s’obstine à répondre par un conseil ? Tant pis pour la question. On ne demande pas au Tarot de nous fournir un tirage clair, on lui demande de nous aider en nous faisant mieux comprendre les choses – si l’on s’éloigne même de notre question, ce n’est pas grave, puisque l’important c’est d’avancer.

Ce n’est pas pareil d’oublier les règles et d’oublier la discipline, attention ! La discipline, c’est ce qu’on a décidé nous-mêmes (continuer le tirage jusqu’à avoir appris quelque chose d’utile, ne pas ajouter à la confusion en tirant trop de cartes de clarification). Cela, on ne revient pas dessus.

 

Point spécial sur la stratégie la plus efficace de l’ego : Ne pas prendre le temps de travailler sa question

Un tirage prend beaucoup de temps, et le plus long n’est pas d’interpréter les cartes. C’est un jouet fascinant, et il faut résister à son appel le temps qu’il faut pour être prêt. L’ego a placé une dernière chausse-trappe : nous faire croire que la question est simple (et donc nous faire attendre une solution aussi simple – ce qui nous fait perdre les pédales lorsqu’on ne la voit pas directement apparaître dans le tirage). Or, les choses ne sont pas simples, c’est pourquoi nous avons besoin d’un guide.

Par exemple : “X est-il l’homme de ma vie ?” a l’air d’une question facile : on voit bien de quoi on parle, et la réponse est soit oui soit non. Il est donc bien tentant de lancer le tirage tout de suite !

FAQOr, ce genre de sujet est très compliqué, et cette question implique beaucoup de choses difficiles ! Pour savoir si X correspond à ce que je recherche, il faut que je sache au moins ce que je recherche : qu’est-ce que c’est ? Si c’est assez clair, est-il évident que je suis prête à l’obtenir ? Est-ce que le bon moment est bien maintenant ? Est-ce qu’il sera prêt lui aussi ? Est-ce qu’il ne recherche pas quelque chose de différent ? Est-ce que je cherche à être avec X pour lui-même, quoi qu’il arrive, ou pour d’autres raisons – sécurité, stabilité, statut social ? Bref, cette question en apparence évidente implique plusieurs problèmes très, très différents. Lancer la question sans lui avoir donné plus de précision peut amener le tirage à répondre pêle-mêle à un peu toutes ces sous-questions, ce qui rend l’ensemble confus et difficilement compréhensible.

Un moyen infaillible de reconnaître une question qui n’est pas assez travaillée, c’est de regarder si elle est formulée au futur. Par exemple : “Est-ce que X va quitter sa femme ?” Encore une fois, le Tarot est un manuel qui nous aide à devenir libre, pas une boule de cristal censée prendre les décisions à notre place. Si l’on formule une question au futur, c’est qu’on n’est pas prêt à prendre sa responsabilité dans les événements – soit X va quitter sa femme, et cela ne dépend pas de nous, soit X ne va pas quitter sa femme, et nous n’y pouvons rien. Dans les deux cas, nous n’avons rien à faire. Cela ne vous rappelle-t-il pas notre petit collégien ?

Le Tarot est fait pour donner des conseils. Notre question doit donc lui laisser la place de nous indiquer ce que nous pouvons faire pour mieux nous en sortir – si nous n’avons rien à faire, aucun des conseils que peuvent donner les cartes ne sera applicable, donc ce n’est pas la peine de les déranger. Il faut donc prendre suffisamment de temps pour bien décortiquer la question, comprendre ce qu’elle implique, et nous rendre compte que le véritable problème est un peu plus profond.

Dans l’exemple “X est-il l’homme de ma vie ?”, celle qui pose la question peut se rendre compte qu’elle ne se représente pas bien ce que cela signifie, “l’homme de ma vie”, formulation un peu creuse. Qu’attend-elle d’un homme, en réalité ? Le Tarot peut l’aider à trouver des pistes pour répondre à cette question-là ; à elle ensuite de voir si X peut avoir un rôle à jouer dans cette nouvelle pièce.

Dans l’exemple “X va-t-il quitter sa femme ?”, la question implique que l’on soit investie dans une relation alors que l’autre nous a clairement indiqué qu’il n’était pas entièrement disponible. C’est que nous avons tendance à accepter qu’on nous fasse passer en second. Qu’est-ce qui explique cette tendance ? Que faire pour nous redonner la place que nous méritons à nos propres yeux ?

 

La lecture du Tarot est un travail long et difficile. Il faut être préparé, et se souvenir qu’il en vaut la peine, sous peine de se décourager rapidement. La signification d’un tirage peut même ne devenir apparente qu’au bout de quelques jours ; sans en arriver à cet extrême, il faut s’attendre à devoir prendre du temps, et se préparer à creuser profondément. N’oubliez pas qu’on peut passer plus de temps à bien préparer sa question et à décider du tirage, qu’à interpréter les cartes elles-mêmes ; et l’interprétation se fait dans le même esprit de “travail sur les profondeurs”. S’en tenir à la première idée qui vient devant une carte, sauf intuitions fulgurantes, n’est en général pas suffisant et il faut la patience de laisser le sens venir. Ce sens finira par éclore si on arrive à éviter tous les pièges tendus par notre mental, qui préférerait qu’on le laisse tranquille.

 

Exemple :

“Est-ce que je vais réussir à gagner de l’argent” – question au futur, qui me déresponsabilise

“Est-ce que je fais bien de me lancer là-dedans” – question qui appelle un oui/non, pas un conseil

-> Reformulation : “De quoi ai-je besoin pour réussir dans mon activité commerciale ?” – question simple, à laquelle on peut répondre par 1 idée, donc 1 carte suffit. Paquet battu et coupé.

Carte tirée : Le Chariot (VII).

rider waite chariot interprétation

1) Mon premier réflexe : me lamenter de l’absence d’une réponse. “Je demande au Tarot comment conquérir le marché, et il me répond que je dois conquérir ! ça m’aide !”. Cela ne doit pas me décourager ou m’amener à tirer une autre carte pour recouvrir la première. J’étais prévenue que ma première réaction pouvait être trompeuse. Plutôt que de me laisser entraîner par la déception et de laisser tomber les cartes, je reconnais cette réaction pour ce qu’elle est (une défense de l’ego qui veut conserver son problème) et me prépare à la surmonter.

2) Je fais alors l’effort d’oublier ma question, pour regarder ma carte pour elle-même et réfléchir librement au concept qu’elle présente. Je me rends compte que le prince, pour partir conquérir, a forcément dû sortir de sa zone de confort, puisque les zones qu’il va conquérir sont tout ce qui n’est pas déjà conquis / familier. Cette “zone de confort” peut être représentée par les remparts fortifiés que je remarque derrière lui sur le Rider-Waite. Cela me parle, je sens que cette idée fait sens pour moi – ce sentiment me suffit pour arrêter de me demander si mon interprétation “est correcte”. Les symboles alchimiques sur le devant du Chariot ne me disent rien et ce n’est pas la peine d’essayer de me souvenir de leur signification, puisque j’ai déjà trouvé quelque chose. Je fais ce tirage pour moi, pas pour faire plaisir aux professionnels du Tarot.

3) Il me faut ensuite reconnaître parmi mes possibilités concrètes, celles qui peuvent être représentées par cette idée de “sortir de ma zone de confort”. A force de m’observer, je sais que j’ai toujours du mal à faire la démarche d’entrer dans de nouveaux milieux ; d’ailleurs, cela fait plusieurs jours que je repousse un coup de fil qui me le permettrait, en me trouvant de nouvelles excuses à chaque fois. Sortir de ma zone de confort, ce serait donc m’attaquer à cela qui me fait reculer : créer des contacts et faire du réseau.

4) Arrive enfin l’étape la plus difficile : appliquer concrètement le conseil, et surmonter les inhibitions qui m’empêchent encore de réussir dans mon activité, c’est-à-dire attaquer la timidité qui me fait reculer devant la nécessité de faire du réseautage. Je mets donc mon manteau et sors agir la conquête du Prince en m’invitant à un afterwork organisé autour d’un thème en lien avec mon activité, et où je saurai défendre mon produit parce qu’il correspond à ce que je désire, comme le montre l’Etoile au front du conquérant. En rentrant chez moi, je constaterai sans doute que ce n’était pas aussi difficile que ce que je m’étais représenté ; j’aurai passé un bon moment et gagné en confiance.