La Maison-Dieu : cette arcane continue à déconcerter les lecteurs français à cause de son graphisme. Là où l’immense majorité des tarots montrent la représentation parfaitement standard d’une tour frappée par la foudre, avec éclair en zig-zag et tout, le tarot de Marseille a été décrit comme “éjaculation” avec “une plume qui sort” et des “confetti symboles de joie cosmique” : de quoi se retrouver bien embrouillé. Alors, d’où vient cette étrange divergence et qu’interpréter ?

16Les données du problème

Les habitués du tarot de Marseille sont en général surpris par le côté direct, voire brutal, des tarots de type Rider-Waite. La Tour est frappée par la foudre et prend feu pendant que ses occupants sont précipités avec violence sur le sol, sur fond de ténèbres. Il est plutôt difficile d’y voir “une danse de célébration joyeuse”, un accouchement, un pénis, ou de raconter au consultant des histoires sur le fait que son Corps soit empli de la lumière de sa Conscience et qu’il doit aider la nature (parmi d’autres éléments d’une surprenante stupidité dans la Voie du Tarot). Clairement, c’est un choc brutal qui fait tomber de haut.

Ceux qui préfèrent éviter au maximum les connotations négatives auront forcément du mal avec le dessin du tarot de Waite ; il reste possible de se forcer à trouver quelque chose de doux dans la représentation du tarot de Marseille, dont le dessin plus éloigné de nos attentes modernes paraît plus étrange.

 

tarot marseille maison dieu signification

En effet, ce que tous les autres s’accordent à dessiner comme un éclair normal y a plutôt l’air de quelque chose de poilu qui coule, soit du haut vers le bas (la flammèche juste au-dessus de la fenêtre supérieure est comme une main qui touche la tour au bout du “bras” du plumeau), soit du bas vers le haut. On rencontre l’idée que ce plumeau ressemble au feu des boosters d’une fusée qui décolle, d’où l’idée d’éjaculer (!) ou de s’élancer vers le cosmos pour Camoin.

Aussi, ce plumeau s’accompagne d’étranges “confetti” qu’on peut aussi interpréter comme la “preuve” que cette carte représente une “danse de célébration joyeuse dans un décor de théâtre”. Le problème, c’est que ces interprétations ne font qu’ajouter de la confusion dans une arcane normalement bien claire en s’appuyant sur un raisonnement par analogie plus que glissant.

 

foudre logoReprésentations médiévales

Nous sommes aujourd’hui habitués à un code graphique particulier : en BD et partout ailleurs, la foudre est représentée par un éclair en zig-zag, et l’habitude rend le décryptage de ce code évident. Seulement, il n’a pas toujours existé tel quel. Dans les enluminures médiévales, la foudre apparaît de manière très différente : c’est un feu qui coule du ciel un peu comme un torrent… (Royal 14 E. iii, f. 133v)

 

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Quant à nos confetti, les deux versions de l’Apocalypse selon saint Jean ci-dessous les utilisent pour montrer les étoiles qui tombent du ciel (“comme les figues vertes tombent d’un figuier secoué par un gros vent” 6, 13) :

(Respectivement, Queen Mary Psalter et Royal MS 19 B XV).

A partir de là, on peut supposer que soit la Maison-Dieu est une représentation normale de la foudre, avec les petits ronds en guise d’étincelles normales quand une tour brûle, soit elle pourrait provenir de ce contexte apocalyptique, ce qui permet de la relier à l’idée de dévastation divine présente chez saint Jean.

 

Liens avec l’interprétation

Et tout cela colle bien avec la signification accordée à la carte dans le contexte de la lecture du Tarot : l’apocalypse, c’est la révélation, le moment où nos constructions mentales s’écroulent pour que nous soit révélée la vérité des choses (chez saint Jean, la révélation est que cet âge va se terminer et que le Bien finira par triompher du Mal, malgré l’idée qu’on peut se faire d’un monde continu et moralement neutre).

maison dieu joie accueilQuel que soit le graphisme retenu, de type Marseille-Grimaud ou Rider-Waite, il reste que la Tour est une construction (humaine) frappée par la foudre (providence), et qu’elle s’écroule, projetant ses occupants au sol dans une rencontre plus ou moins sévère avec la réalité. Sur le Rider-Waite, l’angoisse est totale : oripeaux et belles couronnes ne ralentissent pas la chute. Sur le tarot de Marseille, les personnages ont l’air plus détendu. Celui de droite semble notamment accueillir le sol devant lui (au lieu de se prendre une brique sur le crâne comme sur le tarot de Wirth, comme quoi c’est un détail secondaire).

La Tour est une construction artificielle et sans porte : elle peut donc représenter préjugés et constructions mentales, les idées que l’on se fait du monde et dans lesquelles on vit sans ouvrir la porte aux autres possibilités (on va rarement chercher les informations qui ne correspondent pas à ce que l’on pense déjà). Si, pour protéger nos préjugés, nous n’allons pas spontanément chercher ce qui les remettra en cause, l’écroulement ne pourra venir que de l’extérieur, par l’irruption d’un événement incompatible avec la vision que nous nous sommes construite. Résultat : angoisse et désespoir, comme sur le dessin du Rider-Waite, car quand son monde s’écroule, on ne fait pas le malin. Mais difficile de se raconter que perdre ses préjugés soit une mauvaise chose : lorsque cela arrive, c’est pour nous faire voir la vérité, bien plus riche que ce qu’on a pu se raconter.

Voilà à quoi on peut relier l’attitude émerveillée du personnage qui découvre l’extérieur sur le tarot de Marseille, si on veut ; dans tous les cas, tempérer la signification de la Maison-Dieu dans un tirage de tarot n’est pas vraiment souhaitable. Si “ce n’était pas comme tu pensais”, mieux vaut être prévenu pour pouvoir repenser.